Accueil > Editions & Publications > Volonté anarchiste > 27 - Karl Marx ou la perversion du socialisme - Alexandre Marc > Karl Marx ou la perversion du socialisme - 11. Des machines et des hommes

Karl Marx ou la perversion du socialisme - 11. Des machines et des hommes

mercredi 10 avril 2024, par Alexandre Marc (CC by-nc-sa)

N’étant pas économiste, Maurice Clavel, dans son livre déjà cité, consacre le plus clair de son temps et de son énergie à contester la théorie de la plus-value, à la contester « radicalement », à la proclamer entièrement fausse, de quelque point de vue qu’on se place dans le marxisme. Pour ce faire, il choisit une méthode curieuse qui, sans être aberrante, peut être considérée comme périphérique ; autrement dit, comme subordonnée d’une manière implicite à d’autres arguments, plus décisifs :

Pour que la théorie de la plus-value, ou de l’exploitation du travail par le capital, fût possible, il faudrait admettre que le travail seule est la cause de l’augmentation de valeur de la marchandise. Tout est là. Mais que répondre à l’économiste (...) qui nous dira que les machines aussi travaillent ?  [1] — Rien, à coup sûr. Il faudra reconnaître que, d’une certaine manière, il ne fera qu’exprimer une évidence ; si dire se peut, une évidence qui devient de plus en plus évidente, au fur et à mesure que se révèlent les extraordinaires virtualités de la « révolution » technologique dont est né le système dit capitaliste.

Faut-il insister sur ce point ? Et si oui, pour quelle raison ? Pour confondre et, si possible, convaincre certains marxistes attardés ? N’est-ce pas tenter l’impossible ? Même s’il n’a pas été Système dans les intentions premières de Karl Marx, le marxisme l’est devenu progressivement : ... Le succès de Marx vient de là (...), la loi marxiste doit avoir réponse à tout comme science. Ce doit exprime la prétention antiscientifique par excellence. Même si Marx a pu dire, par boutade (que n’a-t-il pas dit, du reste !), qu’il n’est pas marxiste, ce qui ne l’engageait à rien, on s’aperçoit dès lors que le marxisme est beaucoup plus près d’un dogme que d’une doctrine, parce qu’il ne cède rien et ne peut rien céder. De même que le bolchévisme est une contre-Église, le marxisme est une « religion », une tentative de rattachement à un faux absolu [2]. Les croyants dont les yeux n’ont pas été dessillés par l’immense écroulement, théorique et pratique, de leur Système, offrent-ils encore la moindre prise à des arguments rationnels ?

En tout cas, Maurice Clavel s’efforce, avec plus ou moins de bonheur, et dans son style lyrique, de dénoncer les superstitions et de dévoiler les subterfuges de la religion marxiste. Pour ce faire, ainsi que déjà noté, il insiste tout spécialement sur le travail des machines. La plus-value uniquement ouvrière n’est évidente que s’il n’y a pas de machines !, s’écrit-il, en italiques. Et il ne cesse de revenir sur ce point, affrontant avec intrépidité, non seulement Marx lui-même, mais aussi un dénommé Pierre Verstraeten, professeur (mais oui !) à l’université libre de Bruxelles, mais encore André Gorz [3], mais enfin et surtout — à longueur d’alinéas, de pages, de paragraphes, de chapitres, d’appendices, de notes, de points d’interrogation et, surtout, de points d’exclamation — un certain Ernest Mandel, auteur (nous dit-on) d’un magistral Traité d’économie marxiste, en plusieurs volumes. Telle est la passion dont Maurice Clavel est atteint que si ce Mandel (Ernest) n’existait pas, Clavel ne manquerait point de l’inventer. On peut s’interroger sur les raisons de cette « fixation » car les très nombreux textes du fameux (?) Traité, cités dans Qui est aliéné ?, ne paraissent pas des plus lumineux ni des plus originaux.

Quoi qu’il en soit, il est certain que la percée de la technologie confère à la machine un rôle toujours grandissant : évolution marquée par les trois traits distinctifs dont la convergence promet de repousser vers le paléotechnique tout le machinisme de papa :

— amorce d’une nouvelle forme du savoir (recherche opérationnelle, cybernétique, informatique, télématique, méthodologie systémique) ;

— restructuration et transformation du travail (automatisation, robotique, « enrichissement des tâches », reconstitution du sens unificateur) ;

— découverte des nouvelles sources d’énergie (fission nucléaire, aujourd’hui, et demain, fusion atomique, énergie géothermique, énergie cosmique).

Que faire devant cette explosion, dès lors que l’on se veut fils fidèle de l’Église marxiste ? Faut-il d’emblée assouplir le dogme ? Admettre que la plus-value soit plus ou moins proportionnelle au capital total et non au capital variable  [4] ? Raymond Aron qui, lui aussi, connaît bien son Marx, prétend que, contrairement à ce que les exégètes affirment à l’accoutumée, l’auteur du Capital était disposé, sur ce point, à quelques accommodements. Après tout, pouvait-il ignorer l’importance croissante de ce capital fixe que constituent les machines ? Et Maurice Clavel lui-même ne cite-t-il pas le texte suivant, à bien des égards remarquables, de Karl Marx :

Le travailleur animait l’outil de son art et de son habileté propre, car le maniement de l’instrument dépendait de sa virtuosité. En revanche, la machine, qui possède habileté et force à la place de l’ouvrier, est elle-même désormais la virtuose, car les lois de la mécanique agissant en elle, l’ont dotée d’une âme. La science contraint (...) les éléments inanimés de la machine à fonctionner en automates utiles. Cette science n’existe donc plus dans le cerveau des travailleurs : elle agit plutôt comme une force à eux étrangère, comme la puissance même de la machine.


[1Maurice Clavel, op. cit., p. 24.

[2Maurice Clavel, op. cit., pp. 159, 300 et 302.

[3Auteur de Stratégie ouvrière et néocapitalisme, Paris, Edit. du Seuil, 1964.

[4Maurice Clavel, op. cit., p. 141.