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Osugi Sakae

mercredi 9 mars 2022, par Philippe Pelletier (CC by-nc-sa)

Kôtoku Shûsui.

Osugi Sakae est né en 1885 dans une famille de militaires en poste en divers endroits de la province japonaise. Enfant très sensible et turbulent, il est expulsé à l’âge de 16 ans d’une école des cadets de l’armée de terre à la suite d’une bagarre. Venu faire des études à Tokyo, il s’intéresse provisoirement au christianisme puis, à l’âge de 18 ans, entre en contact avec la Société populaire (Heimin-sha), le berceau du socialisme au Japon, et avec Kôtoku Shûsui (1871-1911), l’un de ses grands animateurs qui était en train d’évoluer vers l’anarchisme. Quand Kôtoku et onze autres personnes, injustement accusés de complot contre l’empereur, sont exécutés en 1911, Osugi échappe à la mort car il était à ce moment-là en prison à la suite d’une manifestation. Il participe ensuite au lancement de plusieurs revues socialistes, prolétariennes et artistiques, où il prône l’anarchisme. Défenseur de l’amour libre et marié, il vit une liaison avec deux autres femmes, dont l’une le blesse d’un coup de poignard en 1915. Après son divorce, il vit avec Itô Noe (1885-1923), militante anarchiste et l’une des pionnières du féminisme au Japon, dont il aura trois enfants.

Installé à partir de 1918 dans un quartier ouvrier de Tokyo, Osugi Sakae propage l’anarcho-syndicalisme. Zélateur du « moi », il se distingue néanmoins des stirnériens japonais, avec lesquels il polémique, pour défendre un engagement résolument social. Il prend l’initiative de fonder en 1920 une Fédération socialiste du Japon qui regroupe toutes les tendances socialistes mais qui implose rapidement à cause des dissensions. La même année, il se rend clandestinement au congrès des socialistes d’Extrême-Orient organisé par le Komintern pour s’informer plus directement sur la révolution russe. Il en revient désillusionné et entame une polémique avec les bolcheviques qui va marquer le mouvement ouvrier au Japon. En 1923, il voyage clandestinement à Shanghai et en France pour assister au Congrès international des anarchistes de Berlin qui n’a finalement pas lieu. A cette occasion, il se renseigne sur le mouvement makhnoviste qu’il présentera au Japon. Arrêté après la manifestation du 1er mai 1923 à Saint-Denis, il est expulsé de France.

Vue panoramique de Nihonbashi et Kanda le 15 septembre 1923.

Après le grand séisme du 1er septembre 1923 qui est suivi de troubles sociaux, la police en profite pour accentuer la répression contre les communistes et les anarchistes. Osugi Sakae, Itô Noe et leur neveu de 4 ans, Tachibana Sôichi [*], sont arrêtés le 16 septembre, conduits au quartier général de la police militaire et assassinés le jour même.

Itô Noe.

Après la mort d’Osugi et d’Itô, le mouvement anarchiste garde encore son influence au sein du mouvement ouvrier mais le durcissement du régime, l’emprise des bolcheviks et les querelles internes qui divisent les anarchistes sur la question syndicale conduisent à sa marginalisation.

Osugi témoigna d’une grande curiosité intellectuelle. Au cours de ses multiples séjours en prison, soit un peu plus de trois ans au total, il lut beaucoup, se passionna pour les sciences naturelles, la littérature et les langues, notamment l’anglais, le français et l’espéranto dont il fut l’un des pionniers au Japon. Il traduisit les classiques de l’anarchisme (Bakounine, Kropotkine, Emma Goldman, Alexandre Bergman), ainsi que d’autres auteurs (Rousseau, Sorel, Bergson, Romain Rolland). Par son tempérament, sa passion, sa combinaison de la réflexion et de l’action, de l’écriture et de l’organisation, par sa recherche de l’unité mais sans abdication, Osugi est une figure marquante de l’anarchisme et du socialisme au Japon. A cause de son aventure amoureuse et de sa fin tragique, son nom est encore connu de la plupart des Japonais et depuis peu redécouvert dans sa dimension anarchiste.

Voir en ligne : Cet article de Philippe Pelletier est extrait de Itinéraire - Agenda 2001


[*Wikipedia donne à Tachibana Sôichi l’âge de 6 ans le 16 septembre 1923 (NdLR).