Fils d’un tonnelier et d’une cuisinière, il naît à Besançon en 1809 sous le règne de Napoléon Ier. De tous les théoriciens socialistes du XIXe siècle, il est le seul à être d’origine populaire. Il mourra à Paris, en 1865, quelques années avant la Commune.
En 1820, une bourse lui permet de faire des études au collège de Besançon. Seul pauvre parmi les riches, les vexations sont courantes, ce qui ne l’empêche pas de remporter de nombreux prix d’excellence. A 17 ans, il devient ouvrier typographe pour aider financièrement ses parents.
Il profite de son métier et de ses loisirs pour faire des études de philologie en comparant les versions grecques, hébraïques, latines et françaises de la Bible et rédige un ouvrage sur les Catégories grammaticales — qu’il reniera par la suite — qui attire l’attention de certains membres de l’Académie de Besançon. En 1838, celle-ci lui attribue une bourse qui lui permet, à 29 ans, de passer son baccalauréat et de poursuivre des études supérieures.
En 1839, Proudhon fait paraître son premier ouvrage connu, De la célébration du dimanche puis, l’année suivante, Qu’est-ce que la propriété ?. Sa fameuse formule La propriété, c’est le vol !
le rend célèbre dans le monde entier mais décide l’Académie à lui retirer sa bourse en raison des polémiques suscitées. Ce premier mémoire sur la propriété sera suivi de deux autres qui le conduiront devant la cour d’assises. Le jury, se déclarant incompétent pour juger de questions « scientifiques », l’acquitte.
La propriété pour Proudhon est avant tout la possibilité qu’à celui qui détient un capital d’acheter (dans le cas de l’esclavagisme) ou de louer (dans le cas du fermage ou du salariat) des êtres humains. La propriété, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme
. Le prolétariat n’étant pas un Dieu qu’il faut adorer mais un mal qu’il faut détruire
, Proudhon se prononce pour la propriété des moyens de production par les travailleurs eux-mêmes. Il se pose ainsi comme père de l’autogestion ou, pour employer sa terminologie dans Les Confessions d’un révolutionnaire, de la gestion directe. D’autre part, Proudhon développe ce qui deviendra l’un des concepts fondamentaux de sa sociologie, celui des forces collectives, irréductibles aux forces individuelles. L’organisation sociale qu’il faut, non pas inventer, mais découvrir dans la société elle-même, devra respecter cette pluralité des individus comme des collectivités.
La situation matérielle de Proudhon est plus que précaire. Il devient fondé de pouvoir d’une entreprise de péniches que viennent de créer à Lyon des anciens amis de collège. Résidant souvent à Paris, il rencontre de nombreux intellectuels français, allemands et russes, en particulier Grün, Bakounine, Herzen et Marx. Ce dernier désirait que Proudhon soit le représentant français d’un organisme de propagande internationale qu’il essayait de mettre sur pied. Le refus de Proudhon sera à l’origine d’une haine que Marx conservera jusqu’à sa mort et qui le conduira à publier des écrits injustes, calomnieux, injurieux et d’une mauvaise foi extrême.
Proudhon publie alors deux ouvrages importants : La Création de l’ordre en 1843 et les Contradictions économiques (ou Philosophie de la misère) en 1846 dans lesquels il définit sa dialectique, rejette tout à la fois le spiritualisme et le matérialisme et cherche une méthode d’analyse qui permettrait d’appréhender la diversité sociale dans tous ses détails. Il reproche, entre autres, à l’économie politique classique, d’ignorer qu’elle n’est qu’une partie de la science sociale, c’est-à-dire qu’elle n’est possible que comme sociologie.
En 1847, Proudhon décide de quitter son poste à Lyon pour devenir journaliste. Après bien des déboires, il réussit à fonder un quotidien, Le Peuple, qui deviendra Le Représentant du peuple, puis La Voix du peuple et, à nouveau, Le Peuple suite aux divers procès et interdictions successifs. Février 1848, la monarchie est à nouveau mise à bas. La République est proclamée. Aux élections du 8 juin 1848, Proudhon est élu député. Il incarne l’extrême gauche de la révolution de février. Il critique violemment les décrets du gouvernement provisoire — en particulier ceux relatifs à la création d’ateliers nationaux — et nie sa compétence révolutionnaire. La grande majorité de ses collègues le regarde avec hostilité. Fin juin, le peuple de Paris se lève contre ce gouvernement qu’il a mis en place et qui s’avère incapable d’améliorer la situation sociale. La répression des républicains est féroce. Proudhon n’a pas souhaité cette insurrection car, se réalisant sans idée générale
, elle ne pouvait déboucher sur une révolution. Lors des journées sanglantes, il est néanmoins le seul, à l’Assemblée, à prendre fait et cause pour les insurgés. Son discours de juillet 1848 réclame tout d’abord clémence et aide aux travailleurs parisiens. Suite au rejet des députés, il oppose alors le prolétariat à la bourgeoisie. Proudhon affirme que le premier instaurera un ordre nouveau et procédera à une liquidation
en se passant des moyens légaux. La guerre de classes entrait pour la première fois dans l’enceinte sacrée. Indignée, l’Assemblée lui inflige un blâme motivé, à l’unanimité moins deux voix : la sienne et celle d’un canut lyonnais.
Lorsque Louis-Napoléon Bonaparte est élu président de la République, en décembre 1848, Proudhon se déchaîne. Ses articles sont si violents et insultants qu’il est condamné à trois ans de prison dès mars 1849 et ne seront pas reproduits dans les Mélanges (articles de journaux 1848-1852 par P.-J. Proudhon) en 1868. Entre-temps, il avait essayé de créer une Banque du peuple dont le but était d’instaurer le crédit gratuit afin que les prolétaires parviennent à leur indépendance vis-à-vis des propriétaires. La prison mettra fin à l’expérience. Incarcéré, il écrit Les Confessions d’un révolutionnaire et Idée générale de la révolution, deux ouvrages dans lesquels il développe ses positions antiétatistes et anti-communistes, gouvernement de l’homme par l’homme
.
Libéré en juin 1852, Proudhon est de nouveau condamné à trois ans de prison, dès la parution, en 1858, de son De la justice dans la Révolution et dans l’Eglise, ouvrage fondamental dans lequel il résume l’ensemble de ses premières recherches à travers un combat général contre la religion et, plus généralement, contre tout mysticisme, adoration de l’homme par l’homme
.
Il s’exile en Belgique où il restera jusqu’en 1862. Le fédéralisme s’impose de plus en plus à lui comme solution révolutionnaire d’organisation des sociétés. Cette idée s’oppose tout à la fois aux régimes en place et aux positions de la gauche qui combat alors pour l’unification de l’Italie ou la reconstruction d’un État polonais. La maladie l’empêchera de totalement développer ses conceptions. C’est néanmoins en puisant dans La Guerre et la paix et Du principe fédératif que les théoriciens du mouvement anarchiste qui succéderont à Proudhon élaboreront une théorie fédéraliste libertaire.
La dernière année de sa vie sera consacrée à sa Capacité politique des classes ouvrières qui deviendra le catéchisme du mouvement ouvrier français. Sévère réplique à un groupe de proudhoniens modérés qui souhaitait présenter des candidatures ouvrières indépendantes aux élections, Proudhon en préconise le boycottage et prêche une pratique de séparation absolue. Père de l’anarchisme, de l’autogestion, de la dialectique moderne, du fédéralisme intégral, de la sociologie... Proudhon est indéniablement le penseur français le plus important du XIXe siècle. Mais, inlassable agitateur d’idées, pourfendeur de tout dogmatisme, de tout a priori, son nom laisse une odeur de soufre au nez des bien-pensants de tous bords qui s’attachent à ce que son œuvre demeure méconnue.