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Itô Noe

CIRA Calendrier 2024

samedi 1er juin 2024, par Philippe Pelletier (CC by-nc-sa)

Itô Noe est une femme de feu selon l’un de ses biographes (Iwasaki Kurco) et l’une des jeunes femmes les plus remarquables de son époque selon l’historien Hane Mikiso : indépendante d’esprit, autonome, iconoclaste.

Née dans une famille pauvre de Kyûhû et abandonnée par son père, elle est recueillie par une tante dont l’époux, plus aisé, accepte qu’elle fasse des études à Tôkyô. Diplômée en littérature, elle y épouse son professeur d’anglais, Tsuji Jun (1884-1944), qui lui fait connaître Nietzsche, les auteurs socialistes et Seitô, la revue littéraire féminine qui vient d’être lancée en septembre 1911 et qui connaît un certain succès.

...et enfin des articles de plus en plus politiques malgré le contexte tendu depuis l’Affaire de haute trahison (1910-1911) qui a vu l’exécution de plusieurs anarchistes...

Noe y écrit régulièrement, d’abord des poèmes, puis des auto-fictions biographiques racontant ses déboires avec le patriarcat et la misère, et enfin des articles de plus en plus politiques malgré le contexte tendu depuis l’Affaire de haute trahison (1910-1911) qui a vu l’exécution de plusieurs anarchistes. Elle se voit confier sa direction à la fin de l’année 1914. Elle y présente les écrits de l’anarchiste américaine Emma Goldman.

À la mi-avril 1916, elle s’installe chez l’anarchiste Ôsugi Salue (1885-1923). Le couple fonde une revue culturelle, Critique de la civilisation (Bunmei hihyô), de janvier à avril 1918. À mesure que les luttes syndicales se multiplient, il investit le champ ouvrier en multipliant les textes sur l’anarcho-syndicalisme et la création de groupes. En résulte la création, en octobre 1918, du journal Mouvement ouvrier (Rôdô undô) dont la publication sera régulièrement interrompue (interdictions, amendes...). Noe y écrit de nombreux articles, dont plusieurs sur Kropotkine.

Le 21 avril 1921, elle participe à la fondation de la Société des vagues rouges (Sekirankai), organisation féminine socialiste et anarchiste. Les tensions se multiplient entre anarchistes et bolcheviques à mesure qu’arrivent les informations sur l’évolution de la Révolution russe. Noe commence à fatiguer entre ses quatre accouchements (1917, 1919, 1921, 1922) et les incessants déplacements de Sakae (au Japon, en Chine, et en France de décembre 1922 à juillet 1923).

Le 1er septembre 1923 un séisme ravage la région de Tôkyô-Yokohama. Le gouvernement décrète la loi martiale. Le 16 septembre, Sakae, Noe et leur neveu âgé de six ans sont arrêtés par la Kempeitai, la Gestapo japonaise, battus et assassinés. Certains anarchistes se lancent dans une vendetta contre les militaires responsables, qui échoue et qu’ils paient de leur vie. Itô Noe et Ôsugi Sakae incarnent ce moment de l’histoire sociale du Japon où les rapports entre les personnes et entre genre sont redéfinis par le nouveau régime, le capitalisme salarié et le nationalisme d’État pour qui l’union libre est un gaspillage insolent, mais aussi par le bolchevisme hostile à toute autonomie. Noe aurait pu échapper à l’arrestation puisque Sakae faisait figure de leader. Mais elle représente aussi une femme libre, intelligente, écrivains, dangereuse. Le pouvoir ne peut le tolérer. Il l’élimine, à vingt-huit ans.

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