L’importance du mouvement mutualiste caractérisée par sa volonté récente de s’affirmer comme une force sociale, au même titre que le syndicalisme, dans le domaine qui est le sien : la santé, mais la santé définie non pas seulement comme l’absence de maladie, mais aussi comme le bien-être physique et moral d’un individu dans le milieu, dans la société dans lesquels il vit, a été reconnue avec éclat par le fait que, pour la première fois depuis cinquante ans, un président de la République est venu clore un congrès mutualiste (le congrès de la Fédération nationale de la mutualité française, à Bordeaux, les 6, 7, 8 et 9 mai 1982).
Cette force sociale de la mutualité se révèle dans les chiffres suivants :
23 millions de personnes protégées ;
12 millions de cotisants ;
8 000 sociétés mutualistes ;
12 milliards de francs de chiffre d’affaires annuel ;
100 000 administrateurs bénévoles ;
45 000 salariés ;
les centaines d’œuvres sociales déjà citées.
La mutualité s’exprime principalement par sa gestion, par ses réalisations. C’est ce qui fait son originalité et la distingue des autres formes d’organisation sociale volontaire. Dans l’évolution historique qui a conduit de la notion de charité à celle de droit à la santé, la mutualité française s’est toujours manifestée par des réalisations concrètes qui exprimaient des besoins nouveaux...
(Congrès de la Fédération nationale des mutuelles de travailleurs, Evian, juin 1978.)
Au terme de cette étude, il convient de rappeler le caractère spécifique de la mutualité : la solidarité, basée sur la liberté d’adhésion (il n’y a jamais obligation d’adhésion et l’adhérent peut se retirer quand il le souhaite après un préavis d’un à trois mois), la gestion par les adhérents eux-mêmes. En fait, une société mutualiste, c’est une société autogérée. Qu’il n’en soit pas toujours ainsi dans la pratique courante, ce n’est pas la faute de l’institution, mais, comme presque toujours, des agissements des hommes. Les conditions sont cependant réunies, dans la mutualité, pour assurer cette autogestion : égalité des adhérents, décisions prises par eux-mêmes, bénévolat des fonctions d’administrateur. Malheureusement, nous savons bien tous que les meilleures constitutions peuvent servir de paravent aux plus totales dictatures. C’est bien le comportement des hommes qui est primordial. On aura beau établir les règles les plus égalitaires, les moins restrictives, si les gens ne prennent pas en main les affaires de la société, d’autres le feront pour eux... en prenant leur dîme au passage.
La mutualité, qui fut, jusqu’à une époque récente, la seule forme de protection sociale des travailleurs, forte de ses dizaines de milliers de militants, possède un immense potentiel de forces économiques et humaines, trop méconnu.
Dans « Contribution à la doctrine et à l’action mutualistes », document d’orientation adopté au congrès de la F.N.M.T. à Evian en 1978, la mutualité est définie comme un fait culturel de haute portée :
La mutualité constitue un fait culturel de grande importance. Elle exprime en effet pour une part le besoin qu’ont les individus de s’associer, de s’entraider, de lier des rapports fraternels et solidaires qui sont à placer parmi les valeurs essentielles de l’humanité. Elle est un mouvement qui vise à supprimer l’aliénation dans les rapports humains.
Dans son domaine spécifique, elle combat de façon permanente toute soumission à un pouvoir social ou médical susceptible de ramener l’individu au rang d’assisté.
Les sociétés mutualistes qui tendent à faire de l’individu un sujet actif et non l’objet d’une pratique sanitaire et sociale
, sont confrontées, dans le système économique actuel, aux problèmes de la société capitaliste, à la concurrence du secteur commercial, et cela peut avoir, naturellement, des conséquences sur leur comportement. La lutte sera de plus en plus âpre, même si la gauche au pouvoir veut faire de la mutualité et des autres composantes de l’économie sociale des partenaires privilégiés pour faire contrepoids à la puissance du patronat.
La mutualité ne sera pas un îlot du socialisme dans l’océan capitaliste ; elle n’a pas la prétention de transformer la société à elle toute seule. Mais, à sa place, dans son domaine, et au moins pour ce qui concerne sa minorité agissante, elle peut y contribuer.
Des révolutionnaires verront là un frein à l’éclatement rapide de la révolution, un détournement de l’action des travailleurs, une intégration dans le système qu’il faut détruire. Vaste débat ! D’autres penseront comme Charles Gide, un des fondateurs de l’Ecole coopératiste (Ecole de Nîmes) :
Un revenu plus élevé, une existence plus confortable, un avenir mieux assuré, le sentiment de travailler pour soi ou pour ses pairs et non pour un maître, ne voilà-t-il pas les conditions préalables — nous n’avons garde de dire suffisantes — de la vie heureuse ?
Et c’est à les réaliser d’abord qu’il faut s’appliquer avant de dresser les plans de la cité future.
C’est que, en effet, la théorie doit s’appuyer sur la vie concrète, sinon des désillusions terribles conduisent à l’instauration de la dictature. De toute façon : La révolution économique ne se décrète pas. Elle est le résultat des contradictions économiques d’un système qui, renonçant à une structure de type fasciste ordonnatrice des intérêts contradictoires des clans qui le composent, crée lui-même les conditions de changement profond imposé. Bakounine disait qu’on pouvait faire confiance au capital pour creuser sa propre tombe.
(Maurice Joyeux : l’Anarchie et la société moderne) Il est vrai qu’il ne la creuse pas vite !
Pour que la révolution sociale que nous souhaitons réussisse, il faut être prêt à gérer la société moderne — et complexe — dans laquelle nous vivons. Dans la mutualité, les travailleurs prouvent qu’ils sont parfaitement aptes à la gestion. Il doit en être ainsi dans tous les domaines, de la petite entreprise à la coordination des activités de toute une nation. Il faut faire descendre la formule révolutionnaire des abstractions politiques dans les réalités sociales
...
Malgré ses défauts, ses faiblesses, la mutualité peut encore apporter beaucoup aux travailleurs, même dans la société actuelle. Cependant, du fait des caractéristiques que nous avons décrites et qui lui sont propres, c’est dans une société libertaire que la mutualité devrait trouver son plein épanouissement puisque, en effet, ce dont elle a le plus besoin, c’est de liberté...