Débutant comme révolutionnaire et conservant toujours ses convictions révolutionnaires, le jeune libertaire Varban Kilifarski se consacra, par la suite, entièrement à des activités foncièrement éducatives. Ses mérites essentiels pour le mouvement libertaire bulgare sont dans le domaine de l’édition et de la diffusion des livres et des brochures, ainsi que la publication assez prolongée et régulière du deuxième hebdomadaire libertaire Acracie, après la suspension de Société Libre de Guerdjikov.
Varban Kilifarski fut, comme Paraskev Stoyanov et Michel Guerdjikov, fils d’une famille aisée. Son père, instituteur au début, devint propriétaire terrien dans le district de Razgrade (Bulgarie du Nord). Varban naquit à la ferme de son père au village de Harsovo, le 25 mai 1879. Jeune, dès le lycée, il adhéra aux idées libertaires et lia toute sa vie de militant infatigable au peuple travailleur-paysan et ouvrier et lutta pour son émancipation.
Razgrade fut, à l’époque, la seule ville en Bulgarie qui protesta contre l’étatisation des écoles, dépendant jusque-là des municipalités et de façon directe, du peuple, étatisation décrétée par le régime dictatorial de Stambolov. Il n’est pas étonnant que ce climat local de libéralisme ait favorisé en partie la formation idéologique de ce fils de gros propriétaires terriens. Il fit ses études agronomiques en Russie d’où, selon l’expression de son frère tolstoïen, il ramena tout « un wagon » de littérature.
Esprit turbulent par nature, Varban, très jeune encore, s’engagea dans le mouvement révolutionnaire macédonien et participa aux luttes armées dans les montagnes en compagnie du principal dirigeant de ce mouvement, Gotzé Deltchev, qu’il influença beaucoup dans son orientation idéologique et tactique.
Retiré de ce mouvement et lié à Nicolas Stoïnov vers la fin du XIXe siècle, il participa à l’organisation des premières associations professionnelles de paysans. Ensuite, toujours en commun avec les autres précurseurs de l’anarchisme social et révolutionnaire, Goulaptchev, Stoïnov, Guerdjikov, il contribua énormément à la diffusion des idées libertaires, constituant un peu plus tard personnellement la maison d’édition la plus importante qu’ait jamais eue le mouvement libertaire bulgare pendant toute son existence, engageant dans cette entreprise tous ses moyens personnels et menant la vie de cultivateur.
Dès cette époque déjà, il conçut le projet de fonder, dans la ferme héritée de son père, une école libre et moderne du modèle de « L’Ecole Moderne » de Ferrer et de « La Ruche » de Sébastien Faure. Il commença même la construction des bâtiments nécessaires au milieu d’un jardin de quatre hectares d’arbres fruitiers qu’il planta lui-même, mais la guerre balkanique, qui éclata en 1912, l’obligea en tant qu’antimilitariste conséquent de quitter la Bulgarie pour ne pas y participer. Il partit en Suisse où il s’installa un certain temps à Lausanne, s’intéressant à l’expérience d’une école du type de celle de Ferrer d’Espagne. Ensuite, il se rendit à Paris en janvier 1912, collabora à « La Ruche » de Sébastien Faure, en enseignant l’art typographique et la reliure qu’il connaissait et se chargeant entièrement des travaux de jardinage et d’agriculture, son domaine de prédilection et d’entière compétence.
En 1913, il participa au grand meeting de protestation contre l’interdiction faite à Kropotkine par les autorités françaises d’assister à la célébration du cinquantième anniversaire de ses activités révolutionnaires.
A la veille de la grande guerre de 1914, Kilifarski quitta la France et se réfugia en Italie. Il s’occupa d’agriculture, près de Florence, pour gagner sa vie. Mais, à cause des relations qu’il maintenait avec des anarchistes italiens, les autorités ne le laissèrent pas tranquille. Il passa un certain temps en résidence forcée dans le sud de l’Italie. La guerre terminée, Kilifarski rentra en Bulgarie et s’adonna entièrement à la propagande libertaire. Mais, rongé par une maladie inguérissable, il mourut relativement jeune, en janvier 1923.