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Manol Vassev (1898-1958)

mardi 23 janvier 2024, par Georges Balkanski (CC by-nc-sa)

Biographiquement, un cas exceptionnel se présente ici, unique en Bulgarie et peut-être dans le monde. Il s’agit d’un militant ouvrier très actif, connu également sous deux noms différents, comme s’il s’agissait de deux personnes distinctes : Jordan Sotirov, le vrai nom de naissance et Manol Vassev, nom d’emprunt d’un réfugié de la Thrace. Et dans les deux cas, c’est une grande figure de militant ouvrier syndicaliste et de remarquable tribun populaire.

Jordan Sotirov est né à Kustendil, en 1898. Adolescent encore. il commença à travailler dans la manufacture de tabac, métier dont il ne changea jamais. Il forma sa vision de libertaire au front et dans les dures épreuves de la première guerre mondiale. Immédiatement après la démobilisation, il participa à toutes les luttes ouvrières et se distingua comme fervent militant syndicaliste et orateur estimé à toutes les réunions, meetings et démonstrations. Le nom de Jordan Sotirov figura régulièrement dans la presse libertaire et dans les grands quotidiens d’information jusqu’au coup d’État en 1923.

Lors d’une échauffourée avec l’armée qui attaqua un meeting ouvrier, pendant la grève de la manufacture de tabac de Kustendil, Jordan Sotirov blessa un officier. Jugé et condamné par contumace à 15 ans de prison, il passa à la clandestinité. Le nom de Jordan Sotirov ne parut plus nulle part, il disparut complètement pour le public. Mais alors « naquit » un autre ouvrier et militant syndicaliste dans une autre région, à l’autre bout du pays, à Haskovo, qui porta désormais le nom de Manol Vassev. Devenu vite très populaire, ce nom sera autant, sinon plus, connu que celui de Jordan Sotirov. Sous ce nom, ce libertaire antimilitariste intransigeant se verra obligé de faire une deuxième fois son service militaire et de passer même un certain temps en prison pour ses activités de syndicaliste révolutionnaire, sans être identifié. L’homme « nouveau » et le militant syndicaliste s’érigea contre une rationalisation dans la manipulation du tabac, proposée par le patronat, sous le nom de « Tonga » (terme dont l’origine et le sens nous sont inconnus). Manol Vassev publia une épaisse brochure portant le même nom et entreprit une intense campagne contre cette rationalisation défavorable aux ouvriers. Soutenu par ses camarades et par la classe ouvrière dans son ensemble, il réussit dans la campagne ; la « Tonga » demeurera inappliquée.

En collaboration avec l’instituteur Georges Sarafov, membre de l’organisation anarchiste de Haskovo et soutenu par tous ses camarades libertaires et de plusieurs ouvriers et de petits producteurs de tabac de la région, il posa les bases, vers 1930, d’une organisation professionnelle des paysans (genre d’association syndicale des petits cultivateurs) qui grandit et devint vite « Confédération nationale de Vlassovden ». (Des explications détaillées seront données plus loin, voir « Syndicalisme ».)

Pendant la deuxième guerre mondiale, lorsque le roi Boris III et son gouvernement pro-nazi lia la Bulgarie à l’Allemagne de Hitler et que la résistance antifasciste surgit. Manol Vassev ne resta pas à l’écart et étranger à la lutte. Et à la fin, le 8 septembre 1944, lorsque les guérilleros se préparaient à descendre de la montagne, les militaires de la garnison tentent un piège pour les capturer et les assassiner, Vassev organisa avec ses camarades anarchistes une attaque armée éclair à la caserne, désarma les officiers et fit ainsi échouer les massacres. Cet acte le rendit tellement populaire que, pendant des mois, aucun meeting ne se passa sans son intervention et son portrait décora les vitrines des magasins de la ville.

Manol Vasev (au milieu de la photo) et les anarchistes investissent la caserne Haskovo, le 9 septembre 1944.

Mais cela ne dura pas toujours. Les portes des camps de concentration et des prisons de la « démocratie populaire », des élèves de Lénine et de Staline en Bulgarie ne tardèrent pas à s’ouvrir largement pour ce représentant le plus qualifié de la classe ouvrière et de la révolution prolétarienne. Il sera interné trois fois dans différents camps et envoyé deux fois en prison, d’où il ne sortira que cadavre, empoisonné la veille de sa sortie de la prison de Sliven, après avoir purgé cinq ans de détention la première fois, et un an et demi, la deuxième fois.

Il fut arrêté pour la première fois le 10 mars 1945, avec tous les délégués à la conférence nationale de la F.A.C.B. à Kniajevo, près de Sofia, et interné dans le camp de concentration de Doupnitsa, d’abord, et à Koutzian, ensuite.

A sa libération de son premier internement, rendue inévitable par des pressions extérieures, l’administration du camp lui demanda, comme à tous les autres internés, de signer une déclaration humiliante préalablement préparée. Sans l’avoir lue, Vassev refusa catégoriquement d’y apposer sa signature et de sortir. Il fallut l’expulser par la force...

Son second procès se tint publiquement ; ce fut une exception. Lorsque le procureur prononça son réquisitoire, l’accusant d’être un agent à la solde des anglo-américains, Manol Vassev se leva, coupa brusquement son discours et s’écria : Ce n’est pas moi qui ai signé les accords de Téhéran et de Yalta avec les Anglais et les Américains ; ce n’est pas moi qui suis allé à Londres baiser la jupe de la reine d’Angleterre !. Le Procureur se tut et les juges baissèrent les yeux, n’osant pas regarder... le vrai procureur de la révolution massacrée.

Est-il étonnant, alors, que ce lutteur invincible soit empoisonné, le 12 mars 1958 ?

Les commentaires sont superflus. La parole est à l’histoire !


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