Les noms de Voline et de Piotr Archinov sont indissociables. Ces deux militants ont marqué de leur empreinte le débat sur la conception organisationnelle de l’anarchisme, mais avant cette passe d’arme idéologique, il y eut un militantisme, un travail commun et des contacts durables, nés de leur action au sein du mouvement makhnoviste.
Piotr Archinov — de son vrai nom Marine — est né vers 1887 à Ekaterinoslaw (Ukraine), dans une famille ouvrière. Ouvrier serrurier, en 1904, il travaille dans les ateliers de Khisil-Artavat, près de la mer Caspienne ; c’est là qu’il sympathise avec la fraction bolchevique du Parti ouvrier social-démocrate russe. Il rédige des articles pour le journal illégal Molot (le Marteau). Poursuivi par la police pour ses activités révolutionnaires, il retourne à Ekaterinoslaw. C’est à ce moment-là qu’il devient anarchiste. Cette période est, pour le mouvement anarchiste russe, encore fortement imprégnée par le nihilisme de la période des attentats et Archinov n’échappe pas à la règle. Le 23 décembre 1906, il fait sauter un immeuble de la police qui provoque la mort de plusieurs personnes.
Trois mois plus tard, le 7 mars 1907, il tue d’un coup de revolver Vassilenko, le chef des ateliers des chemins de fer d’Alexandrovsk, responsable de la dénonciation de plus de cent ouvriers qui avaient fait grève entre 1905 et 1906. Condamné à mort, son exécution se trouve ajournée car elle est du ressort d’un tribunal militaire. Il s’évade le 22 avril 1907 grâce à ses camarades, qui envahissent la prison et libèrent également tous ses codétenus. Archinov passe la frontière et se réfugie pendant deux ans à l’étranger (il semble séjourner en France). En même temps, il continue de militer pour le mouvement libertaire russe en passant clandestinement des armes et des livres. Arrêté à la frontière autrichienne, il est détenu pendant un an à Tarnopol. Puis, il est livré aux autorités russes, qui le condamnent à vingt ans de prison (ayant utilisé divers pseudonymes, il n’est pas inquiété pour ses actes antérieurs). C’est dans la prison Boutirki, près de Moscou, qu’il rencontre Makhno et où naît leur amitié.
Avec la révolution de février, Archinov et Makhno sont libérés. Leurs chemins se séparent momentanément, l’enfant de Goulaï-Polé retourne en Ukraine, alors qu’Archinov milite à la Fédération des groupes anarchistes de Moscou, où il organise une maison d’édition et deux journaux : l’Anarchie et la Voix de l’anarchiste. Lors de son séjour à Moscou, en mai-juin 1918, Makhno lui demande de venir en Ukraine. C’est en janvier 1919 qu’Archinov rejoint la Makhnovtchina ; il est détaché à la commission culturelle du mouvement, où il travaille avec Voline. Archinov gère le journal Poute k Svobode (la Route vers la liberté). La répression bolchevique frappe le mouvement, Archinov est chargé par les instances de ce dernier de rédiger son histoire. Il est obligé de l’écrire à quatre reprises, la Tcheka ayant systématiquement perquisitionné les lieux où il avait déposé le manuscrit — et donc saisi tous les documents — ; sans que l’on sache si cela tenait de l’acharnement ou du hasard.
En 1921, ayant passé clandestinement la frontière, il gagne Berlin, refuge des militants anarchistes et des autres oppositionnels persécutés par le régime bolchevique. Entre mai 1923 et mai 1924, il participe à la publication d’Anarkhist vietsnik (le Messager anarchiste), qui compte sept livraisons. Puis il publie son Histoire du mouvement makhnoviste, dont la version française est préfacée par Voline qui écrit que ce ne fut que la conscience de la nécessité de donner un historique même incomplet, mais suivi et intégral de la Makhnovtchina qui le décida à reprendre la plume.
Une fois arrivé en France, en 1925, Piotr Archinov participe aux activités du Groupe des anarchistes russes et polonais en exil, qui compte entre autres Nestor Makhno, Ida Gilmann (la future Ida Mett) et Ranko (de son vrai nom Goldengerg), et qui publie le journal Dielo Trouda (la Cause du Travail), revue de grande qualité selon les témoins de l’époque. Le groupe est surtout connu pour ses propositions concernant la plate-forme. Elles sont l’aboutissement de plusieurs réunions et d’un travail collectif qui donnent lieu à ce texte restant, selon leur propre terme, un projet pour l’organisation future du mouvement anarchiste international. Le débat avec le reste du mouvement anarchiste prendra toute son ampleur au cours de l’année 1927. Archinov, qui est le secrétaire du groupe, est au centre du débat.
A la fin de l’année 1929, il est expulsé vers la Belgique et ne reviendra en France qu’en 1930 grâce à l’intervention de Sébastien Faure auprès d’Henri Sellier. Très affecté par le manque de perspective du mouvement
, selon ses termes, et à la demande de sa compagne qui a comme lui le mal du pays, il prend contact avec un proche de Staline (Sergeï Ordjonikidze, un de ses compagnons d’infortune dans les prisons tsaristes), pour rentrer en URSS. Les conseillers de l’ambassade d’Union soviétique, chargés de son retour, lui demandent une sorte de confession. Archinov rédige une brochure dans laquelle il dresse un constat d’échec du mouvement anarchiste. Archinov, sa compagne et leur fils partent pour l’URSS durant l’année 1932, malgré les avertissements de ses compagnons Nestor Makhno, Nikolas Tchorbadieff, et de Voline. Il occupe un poste de correcteur jusqu’en 1937, année où, comme tant d’autres, il est victime des purges, le tribunal l’accusant de tentative de restauration de l’anarchisme en Union soviétique
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