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Mouvement libertaire en Bulgarie : Période précédant la naissance du fascisme

jeudi 11 janvier 2024, par Georges Balkanski (CC by-nc-sa)

L’objectivité historique et la précision minutieuse obligent à dire que le fascisme, en tant que système politique et social achevé, n’a jamais pu s’instaurer en Bulgarie, même après le deuxième coup d’État du 19 mai 1934, lorsque les partis politiques furent dissous et que s’établit le régime d’un seul parti. Mais le terrorisme d’État, avec toutes les méthodes d’arbitraire bien connues, avait son application bien avant le coup d’État du 9 juin 1923, sous la démocratie parlementaire précédente. Les événements de Yambol furent l’une de ses manifestations et de ses caractéristiques les plus flagrantes.

D’ailleurs, tout pouvoir, après un long exercice et une présence d’une opposition croissante, est entraîné, par l’emploi des méthodes de plus en plus autoritaires, dans un glissement accéléré qui le conduit fatalement au fascisme. Dans ce sens, les racines du fascisme en Bulgarie se retrouvent dans l’étouffement de la grande grève du transport ferroviaire, fin 1919-début 1920, qui dura presque deux mois. C’est pendant cette période d’ailleurs que fut promulguée la « loi contre le banditisme » (dont Stamboliyski, président du conseil des ministres, fut à son tour, plus tard, lui-même victime). Cette loi autorisait les citoyens à tuer tout révolutionnaire déclaré brigand. Elle trouva sa première application dans les répressions contre les anarchistes. Les arrestations, les internements arbitraires, les assassinats selon « la loi de fuite », la constitution de la fameuse « garde orange » prétorienne, font partie de « l’actif » politique de ce régime démocratique.

Petar Maznev

Petar Maznev

Sa vie fut une élégie. Il brilla tel un météore et s’éteignit dans sa triste jeunesse... Mais il ne nous laissa pas orphelins : il nous légua en héritage un idéal, l’idéal de tant de précurseurs. (G. Cheïtanov).

Né au village de Débélets, près de la ville historique de Tirnovo, Maznev fit ses études secondaires dans cette même ville, chef-lieu de district, et participa à la première guerre mondiale. Les horreurs et les misères de cette guerre le rendirent anarchiste. Démobilisé, il se flit nommer instituteur à Gorna-Orchovitsa.

Pendant la grève des cheminots (1919-1920). Maznev participa hardiment, avec d’autres membres actifs de l’organisation anarchiste de Gorna-Orchovitsa, inspirée par le Docteur Petar Tontchev, à plusieurs manifestations de solidarité en leur faveur. Lors d’une manifestation rendue violente à cause de l’intervention de la police, à Kaltinets, près de la gare centrale, les anarchistes, armes à la main, firent échouer la force publique. Poursuivis à la suite de cette réplique collective, il passa à la clandestinité et se livra aux activités illégales intensives qui le rendirent militant légendaire dans les régions de Tirnovo et de Roussé.

Trahi par un lâche, il fut capturé la même année (1920) et emprisonné, d’abord à Tirnovo et ensuite à Choumen.

Georges Cheïtanov

Ses camarades, illégaux en leur majorité, s’engagèrent sérieusement à le libérer. Sa libération se réalisa un an plus tard, le 5 juin 1921, à l’endroit même où il avait été capturé. A cet acte spectaculaire qui fit couler beaucoup d’encre et circuler des légendes à travers les villages, participa, entre autres, Georges Cheïtanov. Celui-ci fit toute une causerie instructive aux gendarmes, libérés ensuite, à condition qu’ils donnent leur démission (ce qu’enfin ils ne manquèrent pas de faire).

Paraskev Stoyanov

Ainsi Maznev, armé de nouveau, reprit la vie de guerrier. Mais la prison, les épreuves et les incommodités de la clandestinité le rendirent tuberculeux, ce qui abrégea sa vie. Il est décédé à l’hôpital Alexandre à Sofia où il fut hospitalisé sous un faux nom par ses camarades, grâce à la complicité du professeur Paraskev Stoyanov, à l’âge de 38 ans, le 19 juillet 1922. Amené, toujours clandestinement et sous un faux nom, à son village natal, son enterrement se transforma en une grande manifestation spectaculaire à laquelle participèrent des libertaires de toute la région, y compris ses camarades en situation d’illégalité et la population du village. Georges Cheïtanov prononça un discours funéraire émouvant et très remarqué. Cet événement marqua le début d’un rapide développement du mouvement libertaire dans les régions de Tirnovo et de Gorna-Orehovitsa.

Ivan Binev

Né dans un village au sud de Nova-Zagora ; son père, social-démocrate, vivant dans un milieu conservateur, quitta la campagne et s’installa au chef-lieu du district afin de pouvoir lui donner une meilleure instruction. Associé avec un autre socialiste, il monta une imprimerie et une librairie. Dans cette imprimerie, le groupe anarchiste de la ville publia des brochures et même certains numéros du journal clandestin Révolte. Ce fut l’époque d’un rapide développement du mouvement libertaire. Beaucoup de lycéens enthousiasmés par la propagande quittèrent l’école pour « aller au peuple », devenant des ouvriers. Ivan Binev est de ceux-là. Il entra à l’imprimerie de son père pour l’aider. D’une vive intelligence, il continua à s’instruire, acquit vite de larges connaissances et s’adonna la propagande libertaire.

Après les événements de Yambol, il organisa une attaque du commissariat de police pour libérer certains camarades détenus. Les policiers ripostèrent : des combats s’engagèrent. Binev fut blessé. Ramené chez lui, son père le soigna. Le lendemain arriva l’armée de Stara-Zagora. Il fut arrêté. Quelques jours après, Binev fut fusillé, toujours sous le prétexte devenu traditionnel de « tentative de fuite ».