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Nathalie Lemel

mercredi 8 mai 2024, par Paule Lejeune (CC by-nc-sa)

Elle ne ressemble guère au portrait de la communarde que les écrivains bien pensants n’ont cessé de proposer, Nathalie Lemel. Ce n’est point cette gaillarde surexcitée, buvant sec, la pire injure à la bouche, prenant un plaisir malsain à commander des tueries. Et pourtant c’est bien une communarde, Nathalie. Et l’une des plus actives. Et l’une des plus héroïques. Malheureusement pour parler d’elle cent ans après, on ne dispose guère de documents.

Alors, comme pour bien des révolutionnaires, c’est dans les archives de la police, dans les rapports de gendarmerie, dans les comptes rendus de procès qu’il faut aller glaner des renseignements. Lisons donc la fiche signalétique la concernant : 1 m 49 ; elle est blonde avec des yeux gris, un nez retroussé, un visage ovale. Et c’est tout ce que nous saurons.

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Elle ne paraissait pas destinée à la résistance ouvrière et politique par son origine, par son vécu d’enfant, d’adolescente. Ses parents, aisés, tenaient un café à Brest et l’élevèrent avec assez de soins, c’est-à-dire qu’elle dut sans doute aller dans une école religieuse pour y apprendre à lire dans un recueil de prières et ensuite s’initier à la couture, peut-être même à la broderie.

Elle se marie en 1845 (elle a 19 ans) avec un ouvrier relieur, Jérôme Lemel, de huit ans son aîné. Et la tradition familiale semble fonctionner normalement puisqu’ils ont trois enfants.

Le couple quitte Brest, sa ville natale, en 1849, pour aller s’installer à Quimper. Que font-ils à Quimper ? Elle tient une librairie ; quant au mari, on ne sait trop : l’aide-t-il ? Poursuit-il son métier de relieur ? Il est possible qu’il relie à domicile, comme une activité annexe à la vente des livres. Et c’est là sans doute que commence à se nouer le destin de Nathalie. Mais on manque de documents et l’on est réduit de nouveau à des hypothèses. Le rapport de gendarmerie de Quimper nous dit : En 1861, ils se déclarèrent en faillite et partirent pour Paris.

Elle vend des livres, elle a sans doute la curiosité, déplacée, de les lire, et son horizon s’élargit ; elle se pose des questions, elle a envie de discuter de ce qu’elle voit ; elle sort de son rôle de femme, donc elle prend des allures d’indépendance !

Elue au syndicat des relieurs

Nathalie Lemel

Une fois à Paris, sortie du carcan provincial et religieux, obligée par manque d’argent d’apprendre et d’exercer un métier, celui de relieuse, Nathalie va évoluer beaucoup plus vite. D’autant qu’elle se trouve brusquement dans un climat de surchauffe politique. C’est la période où les travailleurs vont constituer — en 1864 — une Association internationale, où des grèves vont éclater un peu dans tous les secteurs ; et en particulier dans celui où travaille Nathalie.

En effet, en août 1864, une grève longue et très dure est menée par les ouvriers relieurs de Paris ; parmi eux, un militant de pointe, Eugène Varlin. Nathalie est parmi les grévistes. Et, lorsque l’année suivante, une nouvelle grève sera décidée, elle sera du comité de grève et ensuite élue déléguée syndicale. Ce qui constituait une véritable révolution pour l’époque, dans le milieu ouvrier encore sous l’influence de Proudhon qui reléguait les femmes au foyer ou sur le trottoir.

C’est que Nathalie Lemel avait dû montrer sa ténacité, son sens de l’organisation dans ces luttes vraiment héroïques car c’était la faim, c’était la rue qui menaçaient à brève échéance les travailleurs en grève.

Nathalie s’inscrit bien vite à l’Internationale et prend une part de plus en plus active à la résistance contre le Second Empire. Elle s’était fait remarquer par son exaltation, écrit le commissaire de son quartier, elle s’occupait de politique ; dans les ateliers, elle lisait à haute voix les mauvais journaux ; elle fréquentait assidûment les clubs.

En somme, une femme perdue. Et c’est bien entendu sur elle que la société — sous les traits du commissaire enquêteur — va faire retomber l’échec de son mariage. Elle quitte le domicile conjugal en 1868 : L’exaltation de ses opinions politiques et les discussions auxquelles elle se livrait continuellement auraient été pour beaucoup dans cette séparation (le tout souligné en rouge !). Mais le commissaire omet de préciser que le mari s’était mis à boire.

Libérée de ses entraves conjugales, Nathalie va pouvoir se consacrer plus intensément à ses activités militantes. Avec Varlin et quelques autres relieurs, elle crée une coopérative d’alimentation, la Ménagère, puis, à partir de 1868, une sorte de restaurant ouvrier, la Marmite. Elle y est caissière, secrétaire ; elle loge sur place pour être plus efficace. Cette idée de coopérative a un tel succès que trois autres restaurants s’ouvrent, regroupant environ 8 000 travailleurs. On y mange bien, des choses saines, abondantes ; on se retrouve entre soi, on peut discuter, lire les mauvais journaux, hors du regard des argousins de Napoléon III.

Bien entendu, Nathalie va participer pleinement à la Commune de Paris. Déjà pendant le siège par les Prussiens, pendant ce terrible hiver 1870, elle avait tout fait pour distribuer à manger, préparer les repas dans les restaurants de la Marmite. Mais le 18 mars, quand le drapeau rouge flotte sur l’hôtel de ville, elle va pouvoir œuvrer de façon vraiment constructive.

Les femmes ne sont pas éligibles à la Commune ? Qu’à cela ne tienne, elles constituent leur structure à elles qui leur permettra de se regrouper, de débattre des problèmes du travail, d’ouvrir des ateliers. Et c’est la création le 11 avril 1871 de l’Union des femmes, que Nathalie Lemel a mise en place avec Elisabeth Dmitrieff et un groupe d’ouvrières. Cette « union », très structurée, dont le manifeste-programme est un des textes les plus avancés de cette période, va donc commencer dans les quartiers populaires — les autres ont été désertés — son action d’information, d’aide, de regroupement. Des clubs sont créés où les femmes prennent une parole précise, énergique, très réaliste. Après le 18 mars, on la vit parcourir les clubs de femmes, y prendre la parole et y prêcher dans un langage excessivement violent les théories les plus subversives.

Le temps des barricades

Nathalie, avec une centaine de femmes, se replie des Batignolles vers la place Blanche, puis vers la place Pigalle. Pendant des heures, elles font le coup de feu pour tenter d’arrêter l’assaillant versaillais. Un témoin dira : Rentrant chez elle le 23 mai, les mains et les lèvres noires, couverte de poussière, elle disait avoir combattu 48 heures sans manger et elle ajoutait avec beaucoup d’animosité : Nous sommes battus, mais non vaincus.

Nous la retrouvons aussi indomptable devant le conseil de guerre. Elle assume fièrement toutes les responsabilités de son action révolutionnaire, comme Louise Michel. Et toutes deux, condamnées à la déportation, seront jetées dans le même bateau pour être livrées aux autorités du bagne de Nouméa.

Mais là encore elles ne s’avouèrent pas vaincues, puisque dès leur arrivée en Nouvelle-Calédonie elles refusent un traitement à part, parce que, disent-elles : Nous ne demandons ni n’acceptons aucune faveur et nous irons vivre avec nos codéportés dans l’enceinte fortifiée que la loi nous fixe.

En 1880 c’est la loi d’amnistie, le retour en France des communards. Nathalie, âgée, éprouvée par ses années de déportation, trouvera un emploi manuel dans l’imprimerie d’un journal ; et sans être une militante de pointe comme Paule Minck ou Louise Michel, elle continuera à suivre les événements, à évoquer les grands jours de la Commune et à intervenir tout particulièrement pour défendre les conditions de travail des femmes.

Nathalie Lemel, c’est vraiment la communarde comme on en vit des milliers sur les barricades : venues de province, ouvrières pour la plupart, acquérant une conscience politique en tant que femmes travailleuses doublement exploitées, allant jusqu’au bout et très souvent jusqu’à la mort, pour sauver la Révolution qui leur apparaissait la seule voie possible pour la libération des femmes.


Louise Michel   Jules Vallès