Fille d’une servante et du fils des châtelains chez qui sa mère travaillait, Louise Michel est née au château de Vroncourt en 1830. Son père quitta très vite les lieux mais ses grands-parents paternels, M. et Mme Demahis, firent face et l’élevèrent comme leur petite-fille légitime. Elle reçut ainsi leur affection et l’éducation d’une jeune fille de bonne famille
. Son grand-père mourut en 1845, sa grand-mère en 1850, lui laissant des terres. Le château fut vendu, Louise et sa mère durent partir.
Louise ne voulait pas se marier. Après la mort de son grand-père, elle avait envisagé d’entrer au couvent mais y avait ensuite renoncé. Elle dut donc travailler et son niveau d’instruction lui permit d’être institutrice. En 1852, elle obtint le diplôme nécessaire et demanda aussitôt l’autorisation d’ouvrir une école libre à Audeloncourt (Haute-Marne). Elle affirma plus tard avoir choisi cette solution pour ne pas être obligée de prêter serment de fidélité à l’Empereur ainsi que devaient le faire tous les fonctionnaires. Sa vie se partagea alors en trois activités : elle enseignait, secourait les pauvres et écrivait des poèmes conformistes et chrétiens que la presse locale publiait parfois. La première vint s’ajouter aux deux autres qui n’étaient pas récentes. Dès son plus jeune âge, elle fut sensible à la misère. Déjà à Vroncourt, elle distribuait aux pauvres l’argent que lui donnait son grand-père. Elle écrivait aussi des poèmes, qu’elle envoya très tôt à Victor Hugo qui l’encouragea à écrire [1]. Ces quelques lettres échangées avec le poète marquèrent le début d’une correspondance qui ne cessa qu’en 1880, à son retour de Nouvelle-Calédonie. Victor Hugo était alors devenu le chantre de la République bourgeoise qu’elle combattait.
Elle ne supportait pas la misère mais n’était pas encore révolutionnaire, contrairement à ce qu’elle affirma plus tard dans ses mémoires. Elle faisait alors encore confiance aux autorités, pour améliorer le sort des pauvres [2]. Après quelques années d’enseignement en Haute-Marne, elle décida de s’installer à Paris où elle trouva rapidement un emploi d’institutrice dans un pensionnat. En 1865, elle vendit ses biens pour acheter un externat dans le XVIIIe arrondissement. Jusqu’en 1869, elle continua à enseigner tout en ayant des activités charitables : lecture aux aveugles, visite de malades, aumône pour les pauvres.
A partir de 1869, elle commença à suivre les cours d’instruction populaire organisés par les républicains. C’est ainsi qu’elle fut mise en contact avec des révolutionnaires (blanquistes, notamment). Peut-être adhéra-t-elle à l’Internationale. Quoi qu’il en soit, son engagement politique et militant débuta ainsi. Dans Paris assiégé (septembre 1870), Louise Michel se débrouilla comme elle put pour trouver nourriture et matelas afin de nourrir ses élèves et héberger ceux dont le logement avait été détruit par la guerre. Elle commença aussi à s’entraîner au tir dans les fêtes foraines. Elle appartint aux deux comités de vigilance des citoyens du XVIIIe arrondissement : celui des femmes qui était chargé de recevoir et distribuer les secours et celui des hommes, plus politique et révolutionnaire. C’est dans ce comité qu’elle fit la connaissance de Vallès, de Varlin et de Théophile Ferré dont elle fut secrètement amoureuse.
De la Commune à la Nouvelle-Calédonie
Lorsque, dans la nuit du 17 au 18 mars 1871, Thiers envoya l’armée reprendre les canons encore détenus par les gardes nationaux, Louise Michel était sur la butte Montmartre avec ses compagnons. L’affrontement commençait et elle participa jusqu’à la fin à toutes les actions de la Commune, envisageant même d’aller assassiner Thiers à Versailles. C’est Ferré qui l’en dissuadera. Louise Michel fit tout ce qu’elle put pour servir la Commune : ambulancière et soldat à la fois. Elle allait partout où l’on se battait, partout où il y avait des blessés à ramasser et à soigner. Elle faisait partie du 61e bataillon de marche de Montmartre et assista ainsi aux combats du Champs de Mars, des Moulineaux, de Clamart, du fort d’lssy ; puis, le 21 mai, du cimetière de Montmartre [3]. Au cours de la Semaine sanglante, elle se rendit pour faire libérer sa mère arrêtée à sa place. Louise Michel vit ses compagnons qu’on fusillait et attendit son tour ; mais, pour elle, on en décida autrement. Elle fut incarcérée à la prison des Chantiers à Versailles et interrogée à partir du 28 juin.
Elle minimisa tout d’abord ses actions puis, apprenant la condamnation à mort de Ferré, elle s’accusa de tous les actes vrais ou faux qu’on lui reprochait pour subir le même sort que lui : l’exil ou la mort, peu lui importait, mais elle souhaitait le même sort pour tous. Ferré fut exécuté le 28 novembre 1871 alors qu’on s’apprêtait à la juger.
Son procès s’ouvrit le 16 décembre. Elle refusa l’assistance d’un avocat, déclara n’avoir rien à dire pour sa défense et menaça, si les juges lui laissaient la vie, de venger tous les communards injustement exécutés [4]. Elle fut condamnée à la déportation dans une enceinte fortifiée. Victor Hugo écrivit alors un long poème Viro Major qui célébrait son courage et sa bonté.
Après deux ans de prison et quatre mois de bateau, elle arriva sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie en décembre 1873 [5]. Contrairement à la plupart des autres déportés, Louise Michel fut émerveillée par la beauté de cette terre d’exil [6]. Elle s’intéressa immédiatement à la culture et aux mœurs canaques [7]. Lors de la grande révolte canaque de 1878, elle soutint les Canaques contre les Français alors que la plupart des anciens communards se plaçaient du côté des colons.
Après cinq ans de détention, elle put s’installer à Nouméa où elle reprit ses activités d’institutrice. Elle enseignait la semaine à l’école communale de Nouméa et, le dimanche, elle instruisait les Canaques. En 1880, l’amnistie générale lui permit de rentrer en France. Les Canaques l’accompagnèrent jusqu’au bateau. Une foule immense l’attendait à Paris.
De 1880 à sa mort, Louise Michel fut, pendant vingt-cinq ans, une militante infatigable. Disposant d’une résistance physique et d’une énergie impressionnantes, elle parcourut la France, l’Angleterre, la Hollande et la Belgique pour y donner des milliers de conférences, entrecoupées de périodes d’emprisonnement [8]. Elle voulait une éducation nouvelle qui formerait des citoyens responsables et non des êtres soumis, l’égalité des sexes, la grève générale, l’organisation d’une fédération des groupes révolutionnaires ; elle refusait l’armée, la peine de mort, le suffrage universel qui n’était pour elle qu’un piège, la séparation de l’Eglise et de l’État dont elle n’avait que faire, ne voulant ni de la première ni du second. Elle devint ainsi la « grande prêtresse » de la révolution et de l’anarchisme [9].
En janvier 1888, au cours d’une réunion publique au Havre, un Breton nommé Pierre Lucas tenta de l’assassiner en tirant deux coups de revolver. Elle fut touchée à la tempe et les médecins ne purent jamais retirer la balle qui resta logée près de son cerveau. Très malade, elle refusa néanmoins de se reposer et mena campagne pour obtenir la libération de Lucas qu’elle jugeait irresponsable. Elle l’admirait, en outre, parce qu’il avait eu le courage de ses opinions
.
Ses idées généreuses lui valurent d’être constamment entourée de mouchards de la police et de profiteurs de toutes sortes, anarchistes compris ; les uns la surveillant attentivement, les autres tentant de profiter tantôt de sa bonté, tantôt de sa popularité.
A partir de 1890, elle s’en alla vivre à Londres ou étaient réfugiés Rochefort, Kropotkine et Malatesta. Elle en revint en 1895, mais y retourna fréquemment jusqu’à la fin de sa vie. Elle s’éteignit le 9 janvier 1905 à Marseille lors d’une tournée de conférences. Son corps fut ramené à Paris et, le 22 janvier 1905, alors qu’en Russie une délégation de paysans allaient porter une pétition au tsar [10], une foule immense suivit son cercueil dans les rues de Paris. Anarchistes, socialistes, francs-maçons, libres-penseurs, syndicalistes, féministes, libertaires polonais, italiens, russes, anglais, etc., furent plus de 100 000 à l’accompagner jusqu’au cimetière de Levallois où elle repose depuis.