Il n’est peut-être pas inutile, en passant, de détruire une légende certain militant, beau parleur, ayant longtemps fabriqué des cours sur les idées des autres, se donne, peut-être de bonne foi, comme le père de l’Unité ouvrière. C’est à Pelloutier encore qu’on doit attribuer l’Unité Ouvrière. En effet, sans discours étudié et sans tableau noir épateur, très simplement, Fernand Pelloutier avait su définir la Confédération Générale du Travail :
A la base, le syndicat, d’où part toute décision ; puis, d’un autre côté, l’Union des syndicats du même métier ou des métiers similaires ; les diverses unions se fédérant en un conseil national corporatif ; d’autre part, les syndicats de toutes les professions groupées localement dans les Bourses du Travail, et l’ensemble de ces Bourses ou Unions de syndicats divers constituant la Fédération des Bourses du Travail avec son comité fédéral composé des représentants de ces Bourses ; au sommet ; enfin, l’Union du Conseil corporatif et celui des Bourses du Travail, c’est-à-dire la Confédération Générale du Travail.
Alors, dira-t-on, pourquoi cette Unité ne se fit-elle pas plus tôt ?
Elle ne se fit pas plus tôt, parce que la Fédération des Bourses, jalouse de son autonomie, fière de son unité, de ses résultats, ne se souciait guère d’absorber une organisation faible, débile, inexistante ou de paraître se faire absorber par elle. Elle ne se fit pas, parce que les militants de la Confédération Générale du Travail fantôme étaient des centralistes à outrance, et, pour la plupart, des parlementaires en attente d’emploi, tandis que la Fédération des Bourses était composée de délégués de Bourses du Travail qui appartenaient à toutes les fractions politiques, mais qui étaient néanmoins absolument d’avis de ne s’occuper que de questions économiques. C’est pourquoi les libertaires qui étaient au Comité des Bourses firent assez bon ménage avec leurs camarades affiliés aux divers partis socialistes. Où prédomine le souci de la lutte et de l’organisation purement syndicales se taisent les haines et les partis-pris politiques.
Enfin, quand la CGT fut unifiée par ses deux sections actuelles, c’est que des hommes nouveaux avaient infusé une tactique et des idées nouvelles à la Confédération impuissante d’antan. C’est aussi qu’un accord tacite s’était établi entre les militants des deux organisations qui, ayant mêmes principes fédéralistes, même mépris de la politique et même dédain des influences étrangères à l’action ouvrière, devaient fatalement s’entendre et s’unir. Cela avec d’autant plus de facilité que le même esprit engendrait les mêmes résultats la Confédération maintenant existait. Elle représentait réellement quelque chose.
Voilà ce qui fit l’Unité Ouvrière.
Quant au prétendu père de cette Unité Ouvrière, je suis fâché de lui déplaire, mais il servit tout juste à encourager l’ambition de ceux qui voulaient déconsidérer, abaisser un peu l’influence de la Fédération des Bourses en lui donnant un rôle secondaire. Si Pelloutier eût été là, il n’en eût pas été ainsi. D’ailleurs, je connais des personnalités qui, devant lui, seraient peut-être restées dans l’ombre. Je dois reconnaître que ce n’est pas moi qui pouvais à cette époque prétendre le remplacer en cette occasion.
Donc, plutôt que de voir ajourner une fois de plus son génial (!) projet, le prétendu père de l’Unité Ouvrière accepta tout ce que de plus intelligents lui imposèrent comme conditions à la Commission désignée pour élaborer le projet définitif.
C’est ainsi que la Fédération des Bourses, devenant Section des Bourses, n’aurait plus de congrès, mais de simples conférences.
C’est ainsi que le secrétaire de la Section des Fédérations deviendrait le secrétaire général de la Confédération Générale du Travail, tandis que le secrétaire de la Section des Bourses paraîtrait ainsi l’inférieur du général.
Où fut donc le souci de légitime égalité dans ce soin de hiérarchiser les fonctionnaires des deux sections qui devaient être les deux moitiés, égales valeurs, d’un tout ?
On le sent, il y avait chez quelques militants, en même temps que le besoin de profiter de l’occasion qui se présentait de sortir de l’ombre cette Confédération qui voulait vivre et s’épanouir, un sentiment d’orgueil qui les rendait illogiques et injustes envers cette Fédération des Bourses qu’ils eussent dû mettre sur un pied d’absolue égalité, égalité qu’elle a su conquérir depuis.
Quant au titre de secrétaire général, ni Griffuelhes, ni Jouhaux n’ont fait cas de façon imbécile et vaniteuse de cette faute contre l’égalité.
Faut-il le dire, il y eut aussi chez quelques militants qui élaborèrent les statuts de l’Unité Ouvrière, le malin plaisir de rouler dans sa vanité l’orgueilleux qui les rasa admirablement de ses discours sur l’Unité et qui ne s’aperçut même pas combien il était joué. N’espérait-il pas, d’ailleurs, être un jour ce secrétaire général ? Ne pensait-il pas que cela lui revenait de droit ? Et ne devait-il pas, n’importe comment, mené par les oies, arriver à ce Capitole, d’où la roche Tarpéienne était si proche !... N’insistons pas.
D’elle-même, j’en suis persuadé, la CGT en l’un de ses Congrès ou l’une de ses conférences prochaines, effacera de son histoire ces bêtises hiérarchiques qui ne s’harmonisent guère avec ses principes d’égalité. Peut-être même cela sera-t-il l’occasion de proclamer une sorte d’anonymat des fonctionnaires confédéraux. Peut-être décidera-t-on que secrétaires, trésoriers et adjoints ont égale utilité et n’ont d’importance que par la CGT, et, en conséquence, proclamera-t-on que tout ce qui sera fait, tout ce qui émanera de l’un ou de tous sera également signé le Bureau confédéral. Une seule chose est à revendiquer par les membres du Bureau, c’est la responsabilité quand il y a des risques de perdre sa liberté au de recevoir des coups. Mais le Bureau tout entier y doit avoir aussi sa part. Voilà l’égalité que nous vaudront les petites fautes commises lors de la constitution de la CGT.
C’est ainsi, j’en suis certain, que Pelloutier eût compris l’Unité Ouvrière, l’eût acceptée, l’eût défendue, si comme nous il l’avait vue possible et utile comme il est indéniable qu’elle l’est aujourd’hui.
A moins d’être ignorant, aveugle ou de mauvaise foi, qui donc pourrait dire que la section des Bourses est diminuée dans la Confédération ?
J’ose dire que la section des Bourses est, pour longtemps encore, indispensable à la Confédération !
Au point de vue syndical présent, elle com-pense par son esprit fédéraliste, la centralisation obligatoire de certaines fédérations, en lutte constante avec un patronat organisé.
La vouloir dissoudre serait insensé elle renaîtrait d’elle-même tant elle s’impose !
Tout cela semble nous éloigner de la personnalité de Pelloutier. Pourtant, c’est au contraire pour arriver à dire que Pelloutier se serait réjoui de voir la section des Bourses remplissant son rôle d’organisation, d’éducation et d’action comme il l’avait souhaité.
Je sais que la section des Bourses a des détracteurs. Je sais qu’il en est même — oh ! de très rares ! — qui réclament sa suppression. Mais cela n’a aucune importance. Pelloutier n’eut-il pas des détracteurs ?... Il eut même des insulteurs. Néanmoins, la Fédération des Bourses vécut et prospéra comme la section des Bourses vit et prospère par et pour la Confédération, malgré ses détracteurs.
D’ailleurs, nous pourrions démontrer que si ce ne sont plus les mêmes hommes qui s’acharnent après une telle œuvre, ce sont les mêmes pauvres idées, le même esprit rétrograde ou le même triste parti-pris politique qui s’étalent.