Au Congrès de Marseille (1879) fut constitué le Parti ouvrier avec un double programme politique et économique. Ce programme émanant d’hommes intelligents et instruits était, dit Pelloutier, d’une simplicité peu commune il était même d’une antiquité respectable, la plupart de ses articles ayant déjà fait la fortune des diverses fractions républicaines qui, tour à tour, et depuis 1848, avaient brigué le pouvoir.
Mais comme sa réalisation était subordonnée à la prise du pouvoir politique et que pour cela il fallait un grand nombre de voix socialistes, il n’y avait plus qu’à organiser le prolétariat en Parti politique distinct, parti de classe, dont tous ceux qui ne sont pas la classe du prolétariat deviendraient les chefs et les élus. C’était simple.
On conçoit qu’un tel programme ait ouvert carrière à tous les astucieux, à tous les ambitieux, à tous les bons bagouts, leaders des tréteaux populaires. Mais, bien entendu, la division se mit parmi ces dirigeants ; ils tirèrent chacun de leur côté, entraînant leurs fidèles et constituèrent ainsi autant de partis.
Il y eut donc en France, à cette époque, plusieurs partis socialistes ou, pour mieux dire, un Parti socialiste divisé en plusieurs sectes distinctes et antagonistes. Ce furent :
Le Comité révolutionnaire central ;
Le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire ;
La Fédération des travailleurs socialistes de France ;
Le Parti ouvrier français ;
Les socialistes indépendants.
Ce sont les membres ouvriers de ces différents partis qui essayèrent, chacun pour leur secte, d’accaparer l’organisation syndicale.
Cependant, les hommes de bonne foi de ces partis en changeaient continuellement. Ils changeaient de secte, allant toujours vers le clan qui leur paraissait le plus révolutionnaire, d’où ils sortaient encore pour s’adonner enfin à l’unique action économique. Ils laissaient ainsi place nette aux petits bourgeois se sentant des aptitudes pour duper les masses, masses encore trop aveugles et trop confiantes pour qu’elles ne pussent aider à réaliser le rêve intéressé de ces petits bourgeois.
Sans doute, l’intrusion d’éléments socialistes au sein de l’organisation syndicale si timide, si mutualiste, si légaliste et ayant une certaine croyance à l’entente possible du Capital et du Travail ; eut une heureuse influence, mais ce fut à condition qu’à son tour l’élément politique disparût du syndicalisme naissant, du mouvement ouvrier renaissant.
C’est ce qui eut lieu, lentement d’abord, puis rapidement le jour où naquit la Fédération des Bourses.
Trop soucieux des questions électorales, les socialistes se préoccupaient peu des événements ouvriers et des progrès lents, mais constants, du syndicalisme.
Depuis leur Congrès de Saint-Étienne (1882) les socialistes, divisés jusqu’à l’émiettement révélaient leur impuissance réformatrice.
Pourtant, vers 1886, quelques hommes, membres du Parti et membres d’associations ouvrières, comprirent que les syndicats constituaient tout de même une force qu’il était puéril de dédaigner. Ils rêvèrent de constituer une vaste association nationale groupant tous les syndicats.
La Fédération des Syndicats et Groupes corporatifs ouvriers de France
fut créée.
Mais cette filiale du Parti Ouvrier Français, cette organisation syndicale de recrutement d’électeurs socialistes, n’avait ni les bases ni les principes économiques nécessaires à la vitalité d’une organisation corporative. Elle était vouée à la dissolution.
Pendant ce temps, un peu partout, se créaient des Bourses de Travail. Si je n’avais crainte d’allonger démesurément cette étude, je résumerais les chapitres où Fernand Pelloutier décrit cette naissance des Bourses du Travail et proclame l’espoir qu’il met en elles.
Je suis persuadé pourtant que s’il eût vécu, Pelloutier eût vu, comme nous, l’inconvénient et le danger de ces Bourses du Travail subventionnées et toujours sous la menace d’être fermées aux moindres velléités de propagande virile et d’action énergique. Comme nous, il en eût souhaité la transformation en Unions locales ou, départementales. Il n’eût considéré, ainsi que nous le faisons, les Bourses du Travail que comme de simples immeubles devant bientôt faire place à de véritables Maisons du Peuple, indépendantes, édifiées par le prolétariat lui-même.
Les Bourses du Travail naissant partout, le besoin se fit naturellement sentir bientôt de les relier entre elles. L’année même où naissait la Bourse du Travail de Paris, la Fédération des Bourses se constituait. C’est la Bourse du Travail de Paris qui en patronna l’idée et la soumit au Congrès de Saint-Étienne, qui l’adopta.
C’était en 1892. Voici donc deux organisations centrales, s’opposant l’une à l’autre la Fédération des Syndicats et la Fédération des Bourses.