Le pays de la Révolution expulse les révolutionnaires
Revenu de Russie en octobre 1920, je vécus quelques temps comme sous-locataire chez mon compagnon d’idées Franz Barwich, à Berlin-Steglitz. Barwich était le trésorier de la FAUD, la confédération anarcho-syndicaliste. Son fils Heinz, âgé de 9 ans, écoutait avec attention les récits de mon voyage en Russie que je faisais le soir en famille. Après la Seconde Guerre mondiale, il fut distingué du prix Staline pour ses recherches en URSS sur le nucléaire et devint plus tard directeur de l’institut est-allemand de physique nucléaire Rossendorf, près de Dresde. Après un colloque sur l’énergie nucléaire à New York en 1965, il décida de ne pas rentrer en RDA. Un an après, il mourut à Cologne, à l’âge de 54 ans. Son livre posthume, Das rote Atom, (« L’atome rouge ») est une précieuse contribution à la critique du stalinisme.
Au début des années vingt, les extrémistes de gauche du mouvement ouvrier allemand croyaient que la révolution se répandrait depuis la Russie à travers le monde entier. On ne regardait pas si les conditions politiques, économiques et intellectuelles étaient réunies pour la révolution en Europe ou en Amérique. La révolution allait venir, on en était convaincu, Karl Marx l’avait d’ailleurs prédit ! Il n’y avait guère d’unanimité entre les différentes tendances socialistes sur les structures de l’ordre social post-révolutionnaire. Les communistes, fidèles à Moscou, voyaient dans le modèle russe le chemin à suivre : ils se référaient en cela au Marx du Manifeste communiste. Les sociaux-démocrates, se réclamant du Marx plus âgé, considéraient que les temps n’étaient pas encore venus. Cette discussion était, pour nous, non-marxistes et de gauche, une polémique aussi stérile que la question des croyants, savoir si le Christ appartiendrait aujourd’hui à l’Église orthodoxe grecque ou à l’Église catholique romaine.
Les syndicalistes étaient eux aussi pour un nouvel ordre social. Mais nous rejetions la dictature, fut-elle prolétarienne. Mon expérience personnelle en Russie soviétique m’avait appris que l’émancipation sociale, le but de tous les mouvements et écoles socialistes depuis le siècle passé, ne pouvait, pas être atteint par la dictature. Je développai ce point. de vue en me référant à l’expérience socialiste dans de nombreuses réunions publiques organisées par les syndicalistes. La grande affluence à ces conférences montrait combien était fort l’intérêt porté à la Révolution russe.