Quelques mois avant sa mort, Kropotkine avait exposé son point de vue sur la Révolution russe dans une Lettre aux travailleurs d’Europe de l’Ouest [1]. Il y demandait entre autres l’ouverture de relations diplomatiques entre les pays occidentaux et la Russie révolutionnaire ; cette revendication devait être relayée par les travailleurs et tous les milieux progressistes occidentaux. Plus loin, il écrivait :
En ce qui concerne la situation politique et économique actuelle — la Révolution russe doit être considérée comme la continuation des deux grandes Révolutions anglaise et française — la Russie cherche à faire un pas de plus, là où la France s’arrêta alors qu’elle voulait réaliser ce qu’elle appelait
[3].l’égalité de fait
, c’est-à-dire l’égalité économique. Malheureusement, la tentative pour réaliser ce pas est, en Russie, entreprise sous la stricte dictature centraliste d’un parti — les maximalistes sociaux-démocrates ; et cette tentative fut entreprise selon les principes de la conspiration extrêmement centraliste et jacobine de Babeuf [2]. Je me sens obligé de dire publiquement que, selon moi, la tentative de construire une république communiste sous forme d’un communisme d’État étroitement, centralisé sous la tutelle de fer d’un parti, restera vaine. La situation russe nous apprend comment le communisme ne devait pas être instauré, même si la population, habituée l’oppression de l’ancien régime, n’opposa aucune résistance active au nouveau gouvernement
Comme le vieux théoricien avait clairement prévu l’évolution ! Le monde a changé depuis, de profondes transformations se sont produites ; la seconde révolution industrielle fait apparaître les problèmes sociaux sous un jour nouveau. Mais les pensées fondamentales de Kropotkine sur la nécessité d’un renouveau social et de structures sociales libres sont aujourd’hui aussi actuelles qu’il y a 56 ans. Le mouvement ouvrier ne peut tirer qu’une leçon de la Révolution russe : comment ne pas faire, si l’on veut atteindre au bien-être et à la liberté pour tous ! Cette lettre constitue le testament de Kropotkine pour les générations présentes et à venir.