Nous ressentions tout l’outrage qui était fait, au travers de ces persécutions, au mouvement ouvrier international. De quel droit pouvait-on combattre les gouvernements réactionnaires des pays capitalistes quant au cœur même du mouvement ouvrier socialiste, dans le pays où les communistes étaient arrivés au pouvoir, des combattants révolutionnaires socialistes étaient poursuivis, enfermés, traités de manière inhumaine, envoyés en Sibérie ou bien même fusillés ? Et pourtant, on parlait encore du « tovarich » (camarade) Lénine, on disait encore « tu » aux communistes, on s’appelait encore du nom familier de « camarade », on croyait encore à l’unité idéologique de toutes les tendances du mouvement ouvrier, nous voyions encore dans la foi au socialisme le lien idéologique nous unissant tous, et dans le capitalisme privé, l’ennemi bourgeois commun. Ma sympathie allait à la mère Russie, j’espérais qu’au pays de Bakounine, Dostoïevski, Tolstoï et Kropotkine, la liberté et le socialisme finiraient bien par se faire jour. Comment pouvais-je, comment pouvions-nous deviner que la tyrannie mise en place par Lénine se maintiendrait pendant plus d’un demi-siècle — et qui sait pour combien de temps encore ? — et mettrait le peuple russe dans les chaînes.
Cinquante-cinq ans après mon séjour en Russie, on y raconte l’histoire suivante : Brejnev est mort, il arrive en en enfer, où il rencontre le dernier tsar, Nicolas II. Comment ça va là-haut ?
demande Nicolas. La Russie est-elle encore une grande puissance ?
- Brejnev : Oui, bien sûr.
Nicolas : Le pays toujours sa glorieuse armée ?
- Brejnev : Certainement !
- Nicolas : ... Et sa glorieuse flotte ?
- Brejnev : Elle est bien plus grande que de votre temps !
- Nicolas : La Russie s’étend-elle toujours de la Baltique à l’océan Pacifique ?
- Brejnev : Évidemment
- Nicolas : La police secrète tient-elle toujours le peuple en main ?
- Brejnev : Bien sûr !
- Nicolas : Envoie-t-elle toujours les excités politiques en Sibérie ?
- Brejnev : Ça aussi !
- Nicolas : Mon peuple boit-il toujours autant de vodka ?
- Brejnev : Tout autant qu’avant.
- Nicolas : Fait-elle toujours 38° ?
- Brejnev : Ah, non ! maintenant elle fait 40°
- Nicolas : Alors écoutez bien : est-ce que ça valait vraiment la peine de faire une révolution pour 2° d’alcool ?