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Actualité de Saint Simon - A chacun selon ses capacités

jeudi 20 juin 2024, par Jean Barrué (CC by-nc-sa)

Peut-il y avoir des conflits entre les divers groupes sociaux constituant la société industrielle, cette société dans laquelle on est passé du régime gouvernemental ou militaire au régime administratif ou industriel ? Non, répond Saint­-Simon, car chacun exerce une fonction, conforme à sa capacité et retire de la société des bénéfices exactement proportionnés à sa mise sociale, à sa capacité positive. On reconnait là la formule célèbre de l’école saint-simonienne : à chacun sa capacité, à chaque capacité selon ses œuvres. Ainsi sera fondée la véritable égalité qui repose sur une hiérarchie minutieuse­ment établie. Mais Saint-Simon, en contradiction avec ces prin­cipes, est forcé de reconnaître que cette hiérarchie risque d’être génératrice d’inégalités et d’entraîner des conflits inévitables entre les industriels propriétaires des instruments de production et les industriels prolétaires. Il faut donc, pense Saint-Simon, réformer le droit de propriété. Certes ce droit est une loi fonda­mentale, mais il n’en résulte pas qu’elle ne puisse être modifiée. Pour rendre la propriété plus favorable à la production, il faut qu’elle soit liée à la capacité et qu’ainsi talent et possession ne soient pas divisés. La propriété devient alors une fonction sociale et la possession des instruments de travail n’est justifiée que si le possesseur produit effectivement et fait fructifier son capital. C’est au problème de la propriété-fonction que Saint­-Simon s’est surtout attaché, prévoyant une série de mesures destinées à transférer au producteur certains droits du propriétaire.

La réforme du droit de propriété supprime-t-elle les conflits ? Saint-Simon lui-même en doutait, car il voyait la situation misérable des prolétaires victimes de l’égoïsme des possédants. Il faut donc améliorer le plus complètement possible l’existence morale et physique de la classe la plus nombreuse. Dans le Catéchisme Industriel et le Système Industriel, il développe à maintes reprises la même idée : accroissement du bien-être de la classe la plus pauvre. Cette expression : la classe la plus nombreuse et la plus pauvre, se retrouvera textuellement chez Proudhon et chez Bakounine (La réaction en Allemagne - 1842). C’est surtout dans son dernier ouvrage — Le nouveau Christianisme — que Saint­-Simon manifeste la crainte de l’accaparement par une minorité de privilégiés des fruits du travail d’une majorité de prolétaires. Déjà dans le Système Industriel il dénonce l’égoïsme qui entraîne la dissolution de la société et, devant l’effondrement des croyances religieuses, il montre la nécessité d’une morale rationnelle fondée sur la philanthropie et l’amour du prochain. La charité doit être une règle obligatoire : dans l’intérêt des pauvres... mais aussi dans l’intérêt des riches. Il ne saurait être question d’imposer par la violence et la répression à une majorité misérable le respect de l’ordre social. En améliorant son sort, on prévient les révoltes inévitables et on attache les prolétaires par leurs intérêts à la tranquillité publique. Comme le Hugo des années quarante, Saint-Simon est animé d’un double sentiment : pitié pour les pauvres, appréhension d’une révolte des misérables. Riches ! Donnez ! Qui donne aux pau­vres prête à Dieu... Ou, pour parler crûment : donnez un peu pour garder beaucoup. Saint-Simon reste d’ailleurs muet sur les moyens d’améliorer le sort des plus pauvres et, si certains saint-simoniens ont vu par la suite dans le prolétariat l’élé­ment moteur de la société industrielle, il est difficile de suivre Marx quand il fait du maître le porte-parole des classes laborieuses.

Le nouvel ordre européen que fondera la société indus­trielle doit donc reposer sur une morale ayant pour base la charité. Mais la froide raison ne suffit pas pour assurer une communauté de pensée, pour réaliser l’unité du monde. Il faut que la société industrielle s’appuie sur une nouvelle religion, sur une institution commune à tous les peuples. Cette religion aura un culte, un dogme, mais qui ne seront que des accessoires ayant pour objet principal de fixer sur la morale l’attention des fidèles de toutes les classes.


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