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Actualité de Saint-Simon - La physiologie sociale

dimanche 16 juin 2024, par Jean Barrué (CC by-nc-sa)

Un classement chronologique des écrits de Saint-Simon conduirait à penser que de 1803 à 1816 il s’est intéressé aux sciences et à la philosophie, puis de 1816 à 1825 aux ques­tions politiques et sociales. En fait on ne peut ainsi dissocier la pensée de Saint-Simon et il y a une interdépendance étroite entre sa philosophie et ce que nous appellerions maintenant sa sociologie. Dans son Mémoire sur la Science de l’homme (1813), il insiste sur le fait que tout système de politique géné­rale n’est qu’une application du système des idées. La philo­sophie ne doit pas être simple curiosité d’esprit, elle doit avoir un but pratique : elle est la science générale dont les sciences particulières ne sont que des éléments et tout régime social est une application d’un système philosophique (L’Industrie 1816-1818).

Lithographie de Comte par Hoffmeister

Certaines sciences ont déjà acquis un caractère positif : il faut que la science de l’homme, elle aussi, arrive au positif. Nous avons actuellement des spécialistes, savants dans une science déterminée, mais ignorant la science de l’homme. S’adressant dans son Mémoire de 1913 aux astronomes, physi­ciens et chimistes, Saint-Simon s’écrie : Toute l’Europe s’égorge, que faites-vous pour arrêter cette boucherie ? Rien (...) Que faites-vous, encore une fois, pour rétablir la paix ? Rien. Que pouvez-vous faire ? Rien. La connaissance de l’homme est la seule qui puisse conduire à la découverte des moyens de concilier les intérêts des peuples et vous n’étudiez point cette science. On ne peut rien demander non plus aux théologiens, métaphysiciens et légistes : ils ignorent tout de l’économie, de la production, de l’industrie, ou leurs connaissances sont superficielles. Une science nouvelle doit naître et devenir posi­tive : la science de l’homme, la physiologie sociale (le terme de sociologie a été créé par Auguste Comte). Cette science de l’homme est d’ailleurs bien différente de ces sciences humaines qui tentent, aujourd’hui, avec plus ou moins de bonheur, d’opérer une synthèse hasardeuse entre des sciences aux fron­tières incertaines. Cette physiologie sociale devra être traitée par les méthodes propres aux sciences physiques. Son objet sera l’être social qui n’est point une simple agglomération d’êtres vivants, mais une véritable machine organisée. La morale et la politique s’intègrent dans cette physiologie sociale et devront donc devenir des sciences positives.

Pour comprendre l’organisation sociale, il faut étudier les diverses étapes de son développement historique, les relier les unes aux autres et mettre en évidence la loi suprême du progrès de l’esprit humain dont les hommes ne sont que les instruments. La connaissance de cette loi permettra de traiter la politique scientifiquement, car du passé bien observé on peut déduire l’avenir. La science de l’homme ne tend pas à démon­trer l’existence d’un progrès continu et indéfini, mais à étudier, dans leur succession, les divers types d’organisation sociale. Saint-Simon pense même que certaines sociétés peuvent passer par un apogée, puis décliner et mourir. On songe à la thèse de Spengler sur le déclin des cultures arrivées au stade de civili­sation, ainsi qu’au mot de Valéry : les civilisations sont mortelles.

Saint-Simon apparaît ainsi, avant Auguste Comte, comme le fondateur de cette philosophie positive qui se propose d’organiser les sciences en utilisant leurs méthodes ; il est le premier à avoir voulu faire entrer dans le cercle fermé des sciences positives, une nouvelle science : la physiologie sociale (la sociologie), en montrant qu’elle devrait être traitée par les méthodes des autres sciences.


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