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Les Hommes du jour n°18

Sébastien Faure (1858-1942) [8]

dimanche 22 décembre 2019, par Victor Méric - Flax (Domaine public)

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Il faut dire aussi que l’idée anarchiste a subi, depuis quelques années, bien des transformations. Qu’est devenue l’époque romantique où l’on croyait la Révolution réalisable et où l’on parlait de la société future comme du messie ? Où sont les bombes d’antan ? Depuis on a raisonné. Bien des ardents propagandistes de l’anarchisme ont abandonne la lutte. Il faut être reconnaissant à ceux qui n’ont pas cédé un pouce de leurs convictions et qui ont su demeurer fidèles à l’idéal de leur vie entière.

Sébastien Faure, qui est l’un des derniers représentants de la période anarchiste romantique, a vu peu à peu s’élever de nouvelles écoles, s’édifier de nouvelles théories. En même temps, l’idée anarchiste s’infiltrait partout, gagnait tous les mondes, s’exprimait par la plume des littérateurs, influençait les hommes politiques. Aujourd’hui, on ne croit plus guère à la transformation violente et immédiate de la société. On s’efforce de concilier les rêves anarchistes avec la réalité présente. On cherche des moyens d’action, des méthodes.

Les anarchistes positifs, désireux d’obtenir des résultats, sont entrés dans les syndicats et s’occupent d’organiser la classe ouvrière. Les autres, les fous, les naïfs, les rêveurs et les fantaisistes ont abouti au naturisme, au sauvagisme, au milieu libre, à l’anarchisme scientifique, à l’anarchisme hygiénique, au tolstoïsme. À la vérité, il n’y a plus d’anarchisme. Il y a, de ci, de là, de petites chapelles où des jeunes gens vaniteux et ignorants rivalisent d’outrecuidance et d’illogisme.

Cela explique que bien des esprits sérieux et curieux, après un stage assez court dans les milieux anarchistes, aient cherché leur voie ailleurs. Cela explique aussi qu’un homme comme Faure, après avoir passé son existence à prêcher l’égalité et la liberté absolues, n’ait pas cru possible, si déçu qu’il se sentit, de déserter la cause anarchiste.

Mais j’ai la certitude – dût-il me démentir – que Sébastien Faure ne veut pas renoncer à l’étiquette anarchiste, uniquement par générosité et par hauteur d’âme. Au fond, s’il espère toujours, il ne croit plus. Sa foi anarchiste a traversé la crise redoutable comme autrefois sa foi religieuse. Et s’il s’obstine à prêcher, s’il veut aller jusqu’au bout, il a vaguement conscience, au fond, de l’inutilité de ses efforts et du néant de ses rêves.

Mais il continue. Il ne veut pas céder. Il veut croire quand même à la possibilité du bonheur universel, à la supériorité de la raison humaine. Hélas ! Le voilà maintenant qui s’adresse à des enfants. Mais qu’il marche toujours. De loin en loin, il rencontre une âme qui s’éveille, un cour qui vibre ; il crée un individu ; il forge une âme nouvelle contre l’iniquité actuelle. Et si les hommes, par extraordinaire, devenaient assez sages pour comprendre leur véritable intérêt, s’ils consentaient enfin à transformer l’enfer social dans lequel nous vivons, la société rêvée enfin réalisée devrait beaucoup à un apôtre comme Sébastien Faure qui jette à pleines mains les graines fécondes que le soleil de la Révolution peut faire germer demain.

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Les Hommes du jour n°18