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Les élections - Lénine et les elections

samedi 16 mars 2024, par Théo (CC by-nc-sa)

Pour les partis politiques, l’exemple le plus intéressant nous semble celui du parti communiste, puisqu’il se déclare révolutionnaire et en même temps accepte de participer aux élections dans le système bourgeois.

Pour comprendre cette position, il faut étudier la position de Lénine. Elle est surtout exprimée dans La maladie infantile du communisme. Or, cet ouvrage est un texte de circonstance, écrit en avril-mai 1920 et publié en juillet pour le IIe Congrès de la IIIe Internationale (du 19 juillet au 6 août 1920). Lénine s’opposait aux réformistes et aux parlementaristes, d’où élaboration d’une théorie très particulière, tenant à la fois compte de l’expérience et des différentes tendances à contenter dans la IIIe Internationale.

Lénine pose d’abord les « principes » :

Une centralisation absolue et la plus rigoureuse discipline du prolétariat sont une des conditions essentielles pour vaincre la bourgeoisie. (Page 14. Editions 10-18).

Nier la nécessité du parti et de la discipline du parti, voilà où en est arrivée l’opposition. Or, cela équivaut à désarmer entièrement le prolétariat au profit de la bourgeoisie. (Page 50).

Il aborde le problème du parlementarisme de façon négative (page 88) :

En Europe occidentale et en Amérique, le parlement s’est rendu particulièrement odieux à l’avant-garde révolutionnaire de la classe ouvrière, c’est indéniable. Et cela se conçoit... par la conduite de l’immense majorité des députés socialistes et social-démocrates au parlement pendant et après la guerre.

Le parlementarisme en tant que système d’État est devenu la forme démocratique de la domination bourgeoise. Le parlementarisme est une forme déterminée de l’État. Aussi, ne convient-il en aucune façon à la société communiste qui ne connaît ni classe ni lutte de classes, ni pouvoir d’État d’aucune sorte.

(« L’année 1920 », page 650. Œuvres complètes, tome XXV, Paris 1935).

Mais il rattrape aussitôt son idée motrice :

La participation aux élections parlementaires et aux luttes parlementaires est obligatoire pour le parti du prolétariat révolutionnaire précisément afin d’éduquer les couches retardataires de sa classe, précisément afin d’éveiller et d’éclairer la masse villageoise inculte, opprimée et ignorante. Tant que vous n’avez pas la force de dissoudre le parlement bourgeois et toutes les autres institutions réactionnaires, vous êtes tenus de travailler dans ces institutions, précisément parce qu’il s’y trouve encore des ouvriers abrutis par la prêtraille et par l’atmosphère étouffante des trous de province. Autrement vous risquez de n’être plus que des bavards. (Page 80).

La participation à un parlement démocratique bourgeois, loin de nuire au prolétariat révolutionnaire, lui permet de démontrer plus facilement aux masses retardataires pourquoi ces parlements méritent d’être dissous, facilite le succès de leur dissolution. (Pages 82-83).

Cette action parlementaire... consiste surtout à user de la tribune parlementaire à des fins d’agitation révolutionnaire, à dénoncer les manœuvres de l’adversaire, à grouper autour de certaines idées les masses qui, surtout dans les pays arriérés, considèrent la tribune parlementaire avec de grandes illusions démocratiques. Le parti communiste y entre, non pour s’y livrer à une action organique, mais pour, de l’intérieur du parlement, aider les masses à faire sauter la machine d’État de la bourgeoisie et le parlement même. (Année 1920, résolutions du IIe Congrès, page 651).

Cette position tout à fait contradictoire est justifiée par les conditions objectives :

Il faut saisir la moindre possibilité de s’assurer un allié numériquement fort, fût-il un allié temporaire, chancelant, conditionnel, peu solide et peu sûr. Qui n’a pas compris cette vérité n’a compris goutte au marxisme, ni en général au socialisme scientifique contemporain. (Page 103).

Le prolétariat n’est pas pur :

D’où la nécessité absolue pour l’avant-garde du prolétariat, pour sa partie consciente, le parti communiste, de louvoyer, de réaliser des ententes, des compromis avec les divers groupes de prolétaires, les divers partis d’ouvriers et de petits exploitants. (Page 109).

La conclusion est claire : rejeter les compromis « en principe », nier la légitimité des compromis en général, quels qu’ils soient, c’est un enfantillage qu’il est même difficile de prendre au sérieux. L’homme politique désireux d’être utile au prolétariat révolutionnaire doit savoir discerner les cas concrets où les compromis sont admissibles (...). (Page 39).

On sait que le IIe Congrès de la IIIe Internationale donna la direction des partis communistes au bureau du Komintern, c’est-à-dire à Lénine. C’est de cette époque que date la vassalisation des P.C. étrangers à la politique extérieure russe. Lénine le prévoyait et préparait une théorie totalement subjec-tive, dont l’interprétation restait au seul bureau du Komintern. Les luttes internes, les purges, les remous dans le monde communiste sont les conséquences inévitables du centralisme dictorial, « tzariste », de Lénine.

La position d’un P.C. aux élections est devenue un enjeu, un pion de la politique russe. En niant toute autonomie, tout fédéralisme. Lénine a fait de l’opportunisme la condition essentielle pour le maintien au pouvoir d’une nouvelle classe.

Le parlementarisme n’amène que des compromis avec les partis au pouvoir, en aucun cas il ne donne un résultat quelconque.

La classe ouvrière peut-elle devenir la classe dirigeante en s’en tenant simplement aux votes électoraux ? L’histoire n’a vu aucune classe opprimée devenir classe dirigeante par les élections. Le bourgeoisie fait l’éloge de la démocratie parlementaire et du système électoral, mais il n’est pas un pays où la bourgeoisie ait pris la place des seigneurs féodaux par des voix gagnées aux scrutins.

(Extrait d’Encore une fois sur les divergences entre le camarade Togliatti et nous. Editions en langues étrangères, Pékin 1963, page 117.)

D’ailleurs, comme par hasard, les deux seuls exemples où une classe semble avoir pris le pouvoir légalement sont celui du fascisme italien, puis du fascisme allemand. Comme s’il existait une complicité entre les forces démocratiques militaires et économiques et le fascisme, est-ce possible ?

Ce n’est un secret pour personne que Krupp et les industriels de la Rhur ont financé Hitler, que la police l’a laissé se débarrasser de la gauche. En Italie, ce fut la même chose : en novembre 1919, Mussolini, candidat à la députation, avait obtenu 4 000 voix contre 180 000 à son concurrent, mais en octobre 1922, le voilà au pouvoir. La classe au pouvoir ne faisait que changer de méthode et d’allure.


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« Les élections - Lénine et les elections », Noir et Rouge n°29, mars 1965 ; repris dans Les anarchistes et les élections, Volonté anarchiste n°3, 1978