Cette nuit tout est calme et j’espère que cette crise se résoudra sans conflits ultérieurs, qui puissent compromettre la guerre. Que de mal font les communistes ici aussi ! [1]
Il est deux heures, la maison cette nuit est en armes. J’avais voulu rester levé pour laisser les autres aller se coucher, mais tous les camarades ont ri, disant que je n’entendrait même pas le canon. Bientôt après, un à un, ils ont été se coucher et je veille pour tous. C’est l’unique chose entièrement belle, plus absolue que l’amour et plus vraie que la réalité elle-même que de travailler pour tous. Que serait l’homme sans ce sens du devoir, sans cette émotion de se sentir uni à ceux qui furent, à ceux qui sont et à ceux qui viendront.
Des fois, je pense que ce sens messianique n’est qu’une évasion, n’est que la recherche et la construction d’un équilibre économique qui, s’il manquait nous précipiterait dans le désordre et la désespérance. Dans tous les cas, ce qui est certain, c’est que les sentiments les plus intenses sont les plus humains.
On peut être déçus sur tout et sur tout le monde, mais non sur ce qu’on affirme avec sa conscience morale. S’il m’était possible de sauver Bilbao eu donnant ma vie, je n’hésiterais pas un seul instant. Cette certitude personne ne peut me l’enlever, même le philosophe le plus sophistique. Et ceci me suffit pour me sentir un homme et me console toutes les fois que je me sens au-dessous de moi-même, au-dessous de l’estime des meilleurs et de l’affection tics êtres que j’estime et j’aime le plus.
Ce que je viens de dire est d’une solennité un peu ridicule pour quiconque ne vit pas ici. Mais peut-être qu’un jour si je puis vous parler des longs mois qui viennent de s’écouler et que j’ai vécu si intensément, vous comprendrez mieux.