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Camillo Berneri (1897-1937)

jeudi 25 novembre 2021

Né à Lodi le 28 mai 1897, il passe son enfance à Reggio Emilia et milite dans un cercle de jeunesses socialistes.

Il décide de démissionner en envoyant une lettre ouverte qui fit quelque bruit :

[...] le mouvement socialiste a commencé sa descente désastreuse vers les bases de l’égoïsme destructeur, suivant ainsi la trajectoire de la puissance morale du christianisme, qui devint puissant grâce à ses martyrs et tomba dans la décadence lorsque les sacrifices de ses partisans cessèrent. [...] Il nous faut un nouvel essor, il nous faut un retour au temps où aimer une Idée voulait dire ne pas craindre la mort et sacrifier toute la vie à une soumission complète. (1915)

Ce profond engagement militant que l’on retrouve jusqu’à son assassinat ne fut pourtant jamais une fidélité aveugle, comme on va le voir.

En 1917, il est mobilisé. Voulut-il être objecteur ou déserter ?

Il y a des cas où se faire tuer est la solution la plus logique et se faire tuer devient une nécessité morale. Les cas de conscience sont plus terribles que les balles autrichiennes ou les gaz asphyxiants. On combat et l’on meurt. Les violettes poussent sur le sol baigné de sang, le long des fossés d’eau rouge.

Après la guerre, il finit ses études tout en participant très activement à la presse anarchiste. Il devient professeur de philosophie dans un lycée. L’avènement du régime fasciste, les persécutions, son refus de prêter, en tant que fonctionnaire, fidélité au régime font qu’il doit s’exiler. Alors commence une longue série d’arrestations et d’expulsions de France, de Suisse, d’Allemagne, de Belgique, du Luxembourg et de Hollande ; auxquelles s’ajoutent les difficultés propres aux exils politiques : discussions, emballements, déceptions, espionnite, etc.

J’ai rêvé de construire un édifice solide et spacieux, mais j’ai constaté que mon effort est bref : j’ai pesé mon cerveau, radiographie mon cœur et je me sens tantôt avili tantôt fier. Je me demande si mon activité politique n’est pas qu’une agitation sans but dans les feuilles sèches d’une idéologie en déclin : ma foi qui était d’un beau vert tendre et riche est maintenant rousse comme les vignes de l’automne. Berneri vivait avec sa femme et ses deux filles qui étaient en France.

D’une prison belge, il écrivait en 1930 à sa Fille Giliana : Un jour peut-être tu sauras combien papa a aimé ta maman et vous autres, bien qu’il ait fait souvent souffrir la première et bien qu’il n’ait pas été tendre avec vous (écrit directement en français).

Mais malgré ces obstacles matériels et moraux, Berneri était en pleine activité intellectuelle : Ce qui est curieux, c’est que d’un côté je suis poussé à la politique militante, de l’autre, dans le domaine culturel, mes études préférées sont ou d’une érudition très particulière (j’ai gâché tant de temps à des choses bouffonnes : Psychologie, zoologie, télépathie, etc.) ou terriblement abstraites (j’ai un gros livre de matériels sur le finalisme). Il en résulte un malaise général. (Lettre à Luiggi Fabbri, sept. 1929).

Plus je lis notre presse et plus je crois rêver. Tu sais que C’est plus fort que moi et que je ne suis d’accord avec presque personne. [...] Quant au syndicalisme, je crois que c’est le seul terrain sur lequel nous pourrons construire quelque chose, bien que je ne puisse pas accepter les fonctionnaires syndicaux et que je voie des inconvénients et du danger dans l’anarcho-syndicalisme en pratique. Si je m’en prends à l’individualisme, c’est parce que, bien que peu important numériquement, il a réussi à influencer presque tout le mouvement. [...] Mon rêve est de susciter l’examen d’une grande série de problèmes, puis, en rassemblant lu remarques critiques, les annotations, les solutions, etc., de ceux qui en parleront, d’arriver à un programme pour 1932 ou 1933, pour le présenter comme programme d’un groupe d’anarchistes, qui laissent vivre en paix les autres, mais qui veulent marcher sur une route à eux. (Lettre à Luigi Fabbri, juillet 1930).

Il ne semble pas que cette tentative ait vu le jour.

Par contre, Berneri écrivit de nombreux articles et des brochures antireligieuses et sur l’émancipation de la femme. Il fit également une thèse qui fut publiée Le Juif antisémite où il étudiait l’assimilation forcée ou volontaire des Juifs. André Spire, poète et sioniste, jugea le livre de première importance [1].

Mais ses écrits les plus importants furent L’espionnage, fasciste à l’étranger (en italien) et Mussolini à la conquête des Baléares et ses articles militants dont nous donnons trois citations qui nous semblent résumer Berneri avant son arrivée comme volontaire en Espagne...

Heureusement le phénomène maçonnique est, dans le camp de l’anarchisme italien, tout à fait négligeable. Mais il y a une considérable minorité d’anarchistes qui alléchés par l’espérance des grands moyens s’est laissé attirer dans le jeu politique de cet antifascisme équivoque... La FM appuie tout mouvement qui peut aider la bourgeoisie et combat tout ce qui peut lui nuire...

Il faut sortir du romantisme. Voir les masses, dirai-je, en perspective. Il n’y a pas le peuple, homogène, mais les foules, variées, séparées en catégories. Il n’y a pas la volonté révolutionnaire du masses, mais des moments révolutionnaires, dans lesquels le masses sont un énorme levier. [...] Si nous voulons arriver à une révision potentielle de notre force révolutionnaire non négligeable, il faut nous débarrasser des apriorismes idéologiques et de la remise à demain commode du règlement des problèmes tactiques et constructifs. Je dis constructifs parce que le plus grand danger d’arrêt et de déviation de la révolution est dans la tendance conservatrice des masses. (1930).

Attendre que le peuple se réveille, parler d’action de masses, réduire la lutte antifasciste au développement et au maintien des cadres du parti et du syndicat au lieu de concentrer les moyens et la volonté sur l’action révolutionnaire qui, seule, peut changer cette atmosphère d’avilissement moral où le prolétariat italien est en train de se corrompre entièrement, est méprisable, c’est une idiotie et une trahison. (1934 fin de « L’idolatrie ouvrière » [2]).

A la nouvelle de l’insurrection en Espagne, Berneri et la plupart des antifascistes italiens s’y rendent immédiatement. Ils forment une colonne qui sera intégrée dans la colonne Ascaso sur le front d’Aragon, organisée par Berneri et Carlo Rosselli (socialiste de gauche).

Berneri prend part aux combats de Monte Pelado (28 août 1936) : Nous avons défendu la position à 130 contre 600 environ, aguerris et disposant de forts moyens, et cela pendant quatre heures de lutte et de Huesca (3 septembre 1936).

Il finit par se consacrer en grande partie à la propagande, sans cesser de s’occuper de la colonne italienne. Il dirige la revue Guerre de classes (en italien) et parle à la radio CNT-FAI dans des émissions pour l’Italie. Le livre Pensieri e battaglie (Paris - 1938) nous donnent sur la situation un certain nombre de remarques que Berneri notait pour lui. On verra qu’elles éclairent les articles en ce qui concerne le danger du putsch communiste et les rapports tendus avec les anarchistes-gouvernementalistes.

Une catégorie de gens me joue terriblement sur les nerfs, c’est celle des volontaires observateurs (Français en majorité). Ils viennent avec des airs de curé et des tenues de cow-boys, pour passer la moitié du temps au café. (21 septembre 1936).

L’article du n°6 a irrité le consul général d’URSS à Barcelone qui a demandé au comité régional (de la CNT) s’il l’approuvait. Je ne sais pas ce qu’ils ont répondu. (janvier 1937).

Le n°8 de Guerre de Classes sortira quand il pourra. Le comité (régional de la CNT) a agi comme avec L’Espagne Antifasciste et je ne veux pas être accusé. Cependant la chose m’a un peu chagriné. Je compenserai en collaborant à des revues et j’écrirai des brochures.

Depuis quelque temps, nous avons fréquemment des victimes dans notre camp, ici, à cause des staliniens. (janvier 1937).

Giopp a été libéré sur intervention d’Espla et d’Arieto, mais son cas est grave et ils l’ont escorté et fait partir en avion par crainte d’un sale coup de la Tcheka communiste qui commande à Valence.

[...] Je ne vois pas quand je finirai la brochure sur les Baléares (que je m’efforce de travailler malgré les inquiétudes !) pour pouvoir commencer une avalanche d’articles sur la situation d’ici, qui risque d’être bouleversé par les moscoutaires. (mars 1937).

Moi qui dans le danger immédiat, ne suis en général pas peureux, je suis parfois pris par la peur de la mort, sans qu’il y air une raison particulière objective. (Lettre à sa femme, 25 avril 1937).

Dix jours après, le 5 mai 1937, Berneri et Barbieri, tous deux anarchistes, étaient arrêtés à leur domicile par une dizaine de policiers armés, en civil sous l’inculpation d’être « contre-révolutionnaires ». Devant la protestation de Barbieri, un policier sortit sa carte n°1109 (notée par la compagne de Barbieri). Les deux derniers travaux de Berneri furent « Nous et le POUM » publiés par un journal anarchiste italien de New York, sans doute parce que la défense critique que faisait Berneri n’était pas publiable en avril-mai 1937 en Espagne ; et un discours le 3 Mai 1937 à la radio CNT-FAI pour l’Italie à l’occasion de la mort de Gramsci le militant tenace et digne que fut notre adversaire Antonio Gramscki, convaincu qu’il a apporté sa pierre à la construction de la nouvelle société.

(Cette biographie est fondée en grande partie sur celle d’Israël Renof dans Noir & Rouge [3]. Source : cnt-ait-pau.fr)

 

Francisco Barbieri



Francisco Barbieri.

Bien que le nom de Camilio Berneri soit fraternellement uni à celui de Francisco Barbieri, par leur mort, on présente peu souvent ce camarade anarchiste.
Né le 11 Novembre 1895 à Briattica dans la province de Catanzaro, Barbieri milite dès sa jeunesse comme anarchiste et lors de l’arrivée du fascisme, il émigre en Argentine.
L’Argentine était en pleine commotion sociale : grèves violentes réprimées par l’armée (2 000 morts en Patagonie en 1921 ) ; puissantes organisations syndicales, dont la FORA anarcho-syndicaliste. Barbieri, cependant, s’intègre au groupe de Severino Di Giovanni anarchiste italo-argentin, qui s’attaque d’abord par les bombes aux établissements nord-américains lors de l’assassinat de Sacco et Vanzetti, puis aux firmes fascistes italiennes. Et, le groupe même commet quelques hold-up pour financer une imprimerie clandestine qui publiera en 1930 deux volumes d’Ecrits sociaux d’Elisée Reclus en italien. Lorsque Di Giovani et ses camarades furent arrêtés, Barbieri put faire disparaître quelques documents compromettants et passer au Brésil, d’où il fut expulsé en Italie pour y être incarcéré.
Il réussit à s’enfuir et à entrer en France. Mais accusé d’usage de faux papiers, il fut emprisonné et expulsé de France en Suisse, d’où il sera également expulsé et arrivera en Espagne en octobre 1935.
Mais dénoncé par la police secrète italienne qui demande son extradition, il passe clandestinement en Suisse, où il se trouve lorsque commencent les évènements d’Espagne.
Barbieri regagne Barcelone où il arrive le 25 Juillet 1936.
A cause d’une maladie, Barbieri se trouvait à Barcelone en mai 1937 après avoir combattu sur le front de Huesca. (Renseignements contenus en partie dans l’article de L. Mastrodicasa Guerre de Classes 23 Juin 1937). Liés par leur mort, Berneri et Barbieri illustrent deux aspects complémentaires de l’anarchisme : la lutte impitoyable contre les dictatures et leur idéologie.

Frank Mintz
d’après Guerre de classes en Espagne

 


[1Cette thèse est disponible en PDF sur le site antimythes.fr

[2Cet article est disponible sur le site www.non-fides.fr

[3Disponible sur le site archivesautonomies.org