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[03] Augustin Souchy - 1920 : Russie soviétique, la Révolution dégénérée

lundi 13 avril 2020, par Augustin Souchy (CC by-nc-sa)

Le 31 mai, j’allai à Samara, sur le bord de la Volga. Là, j’appris d’un groupe de socialistes révolutionnaires de gauche, de maximalistes et d’anarcho-syndicalistes que leur soviet avait été dissous car le parti bolchevique n’y avait pas obtenu la majorité. Un groupe d’Allemands de la Volga, heureux de recevoir une visite d’Allemagne, me demandèrent de leur raconter la vie au pays de leurs ancêtres. Comme je mentionnai que, chez nous, tous les partis et organisations, même anarchistes ou syndicalistes pouvaient exercer librement leurs activités, l’accompagnateur officiel, le camarade Petrov, me coupa la parole sans autre forme de procès. Un an plus tard, Petrov entra dans l’opposition et dut quitter « la Patrie du Prolétariat mondial ». Il vint à Berlin, où nous devînmes rapidement amis : nous avions maintenant le même point de vue sur l’État soviétique léniniste.

A Moscou, Voline me raconta l’origine des soviets. Sous la domination tsariste, les syndicats n’étaient pas autorises. Pendant la Révolution de 1905, des délégués du personnel des ateliers de Poutilov et quelques-uns d’autres usines de Saint-Petersbourg fondèrent un comité d’action dans la chambre de Voline, qui, à l’époque, était étudiant là-bas. Ils donnèrent le nom de « soviet » (conseil) à ce comité. L’employé de bureau Kroustiov-Nosser en fut nommé président. Aucun des fondateurs n’appartenait à un parti politique quelconque. Lorsque plus tard le soviet prit de l’importance et que Kroustlov fut arrêté, Léon Trotsky, qui appartenait à l’aile mencheviste du parti social-démocrate en prit la présidence. Le soviet fut dissous après l’écrasement de la Révolution. Ce n’est qu’après l’éclatement de celle de février 1917 que les ouvriers de Saint-Petersbourg organisèrent à nouveau un soviet, et c’est à partir de là que les soviets s’étendirent à tout le pays [1].

L’idée des soviets avait gagné. Le nouvel État né de la Révolution se donna le nom d’« Union des soviets ». Comment fonctionnait le système des soviets dans la pratique ? Une résolution du congrès anarchiste qui se tint du 3 au 8 septembre (1920, NDE) à Karkhov, nous renseigne sur ce point :

Au départ, nous avions placé une grande confiance dans le pouvoir des soviets. Mais en l’espace de trois ans, la nouvelle machinerie étatique a étranglé la révolution. Elle remplace la domination de la bourgeoisie par la dictature d’un parti et d’une partie du prolétariat sur l’ensemble des prolétaires, sur le peuple entier. Dans les mains du parti de Lénine, le système des soviets est devenu une dictature opprimant la volonté du peuple des travailleurs.

La Révolution perdit sa force créatrice, qui suffisait à elle seule à mener à bien les multiples tâches qu’impose l’organisation d’une nouvelle société. Le pouvoir soviétique est une, leçon et un avertissement pour les travailleurs de tous les pays. Le congrès propose aux compagnons de boycotter les conseils d’administrations soumis au gouvernement et de se consacrer purement et simplement aux véritables intérêts des travailleurs. (...)

En Russie s’accomplit une triste décomposition de la Révolution. Au lieu d’une unique classe ouvrière, nous avons une séparation tranchée entre gouvernants et gouvernés, dominants et sujets, patrons et esclaves. Le droit pour les ouvriers et les paysans de se choisir librement des conseils est devenu une fiction. Il n’y a pas de délégués librement élus, ni dans les syndicats ni dans les conseils paysans. Tous sont manipulés par le parti. On en est arrivé à un gigantesque réseau d’espionnage. Sous prétexte de combattre la contre-révolution. le parti a créé des comités spéciaux pour surveiller le peuple travailleur dans son entier. La presse est bâillonnée, on n’a pas le droit d’exprimer son opinion, ni dans la rue ni au travail. Dans la rue espionne la Tchêka [2], à la maison le comité de logement (domkom), à l’usine le comité d’usine (fabkom). Et loin des ouvriers trône le conseil des commissaires du peuple (sovnorkom), qui s’appuie sur une armée puissante.


[1Dans son livre La Révolution inconnue, Voline donne un exposé de cet épisode. Voir aussi l’ouvrage de référence de Oskar Arweiler : Die Rätebewegung in RuBland 1905-1921 (« Le mouvement des conseils en Russie 1905-1924 ») 1958.

[2Tchéka : commission extraordinaire de lutte contre la contre-révolution et le sabotage fondée en 1917. Remplacée en 1922 par le GPU, avec le même fonctionnement, elle se nomme aujourd’hui KGB.