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Augustin Souchy 1 - Attention : anarchiste ! [22]

vendredi 13 décembre 2019, par Augustin Souchy (CC by-nc-sa)

Une fois sorti de prison, je n’en fus pas plus libre pour autant. J’avais fait une demande d’autorisation de séjour en Suède, sur laquelle le gouvernement de Stockholm devait statuer. On me fit attendre la décision au « violon ». C’était une curieuse condition, entre la prison et la liberté : pendant la journée, je pouvais me déplacer librement dans les locaux du commissariat et me promener en ville accompagné d’un agent ; la nuit, j’étais enfermé dans une cellule grillagée. La police avait un atelier qui éditait un journal. Le rédacteur de la feuille, un employé de police, me proposa de rédiger un article. J’en écrivis un sur la place de la police dans une société libre. L’article ne parut évidemment pas avec mon propre nom. Un jour, l’agent de police m’invita dans son appartement où nous terminions nos promenades quotidiennes. Comme nous nous attardions, le commissaire, qui craignait que je me sois échappé, s’informa par téléphone. Non, nous buvons un café ensemble et nous revenons tout de suite ! Le commissaire fut rassuré et, comme d’ordinaire, je passai cette nuit-là dans ma cellule du commissariat.

Le soir de Noël, il n’y avait qu’un employé au commissariat. Comme la relève se faisait attendre, il me demanda de le remplacer jusqu’à l’arrivée de son collègue, car il était attendu à la maison. Il aurait payé ma fuite par une punition disciplinaire. Il me faisait confiance je ne l’ai pas trompé. J’étais maintenant mon propre gardien – prisonnier et policier à la fois !

Je ne restai pas longtemps seul. On frappa. Un jeune homme entra timidement. Il venait dénoncer une fille qui lui avait passé une maladie. Je pensai à la pauvre fille qui avait agi sans discernement, et voulut le dissuader de la dénoncer. Le châtiment de la fille ne vous guérira pas dis-je. Notre discussion dura quelques minutes. Il devait s’étonner de ce singulier agent qui refusait de recevoir sa dénonciation. Mais bientôt arriva l’inspecteur, qui ramena l’affaire selon le protocole.

A six heures, le lendemain matin, mon accompagnateur quotidien vint me chercher. Nous allâmes à l’église où, d’après la coutume suédoise, avait lieu un concert le premier jour de la fête de Noël. C’est ainsi que j’eus droit à un concert de Noël, avec Brahms et Bruckner. L’attente sous surveillance policière dura 10 jours. La décision du gouvernement fut négative. Le janvier 1920, je fus mis sur le Ferry-boat. à destination de Saßnitz (sur l’Île allemande de Rügen). J’espérais pouvoir, à la faveur de l’obscurité, rejoindre la terre ferme sans être remarqué, car je craignais d’être arrêté en Allemagne pour désertion. Mais le bateau retourna aussitôt vers la Suède et arriva à Telleborg. Une heure plus tard, un matelot qui avait entendu parler de moi par les journaux et qui m’avait passé son rasoir pour raser ma barbe de prisonnier, me dit que la voie était libre. Comme je sautais à terre, une demi-douzaine de lampes s’allumèrent. Les agents de police m’emmenèrent à la prison locale et me remirent le lendemain sur le bateau. Je fus livré aux autorités allemandes à Saßnitz. Après un court interrogatoire et un coup de fil chez mes parents, je fus remis en liberté. La République allemande, me dit-on, ne poursuit pas les déserteurs du Reich.


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