Sous les verrous
Quand Albert Jensen retrouva la liberté après avoir purgé sa peine, ses compagnons d’idées lui réservèrent accueil solennel à Malmö, auquel je tins à participer en compagnie de quelques amis de Copenhague. Sûr de moi, je présentai mon passeport suédois au nom de Lundkvist au contrôle à Malmö. L’employé me montra un livret de police ouvert avec ma photographie et mon véritable nom en dessous. Connaissez-vous celui-là ?
, me demanda-t-il, en me montrant la photo du doigt - Sapristi ! Qu’il me ressemble !
- Je pense bien ! Vous êtes celui-là même !
Nier ne servait à rien. Je relayai Albert Jensen en cellule. Le tribunal de Malmö me condamna à six mois de prison pour faux passeport et retour non autorisé.
C’est alors que je me trouvais en prison que la révolution éclata en Allemagne. Le général Ludendorff s’enfuit vers la Suède avec un faux passeport suédois au nom de Lundström, sans être condamné une fois arrivé. Mon avocat, Georg Branting, un fils du futur Premier ministre Hjalmar Branting fit valoir ce précédent. Comme on ne voulait pas punir Lundendorff, la Cour suprême de Stockholm décida de casser le jugement du tribunal de Malmö contre moi. Plusieurs mois avaient passé. Mais je n’avais pas perdu mon temps. Dans la solitude de ma cellule, j’écrivis un livre en suédois sur Gustav Landauer qui, le 2 mai de la même année (1919), avait été assassiné à Munich au cours de la liquidation de la République des conseils.
Le régime pénitentiaire suédois était en ce temps là moins humain que maintenant. Je ne reçus aucune visite durant ma peine. Je vivais dans la solitude. A part les gardiens qui m’amenaient ma nourriture, je ne voyais personne. Pendant les promenades d’une demi-heure dans la cour de la prison, les détenus étaient séparés les uns des autres par de larges palissades. On ne pouvait pas voir son voisin. C’était l’isolement au sens le plus dur du terme. Mais je ne souffris pas de la solitude.