La Suède
La Suède était à cette époque encore bien loin de l’État-providence. Le niveau de vie des travailleurs était bas, le chômage important, il n’y avait pas d’allocations pour les chômeurs, la sécurité sociale en était encore à ses débuts.
La journée de travail était de neuf, dix, et même onze à douze heures. Il y avait fréquemment des conflits entre travailleurs et patrons. Pendant la grande grève des dockers de 1908, les armateurs avaient embauché en Angleterre des briseurs de grèves professionnels. Les travailleurs suédois appelèrent leurs collègues anglais à ne pas les poignarder dans le dos alors qu’ils combattaient pour des augmentations de salaire. Comme leurs exhortations restaient sans suite, trois ouvriers suédois recoururent un moyen dissuasif : ils déposèrent une bombe de leur fabrication sur l’Almathea, desservi par les briseurs de grève dans le port de Malmö. L’explosion fit un mort et de nombreux blessés. Deux des auteurs de l’attentat, Anton Nilson et Algot Rosberg furent condamnés à mort, le troisième, Alfred Stern, à la réclusion à perpétuité. Les condamnés à mort ne furent cependant pas exécutés. Peu après la condamnation des « hommes de l’Almathea » commença en effet dans tout le pays une campagne pour leur libération. Il fallut cependant attendre neuf ans avant qu’ils soient amnistiés. Je pus assister au jour de leur libération ce fut une fête pleine d’allégresse pour toutes les forces progressistes et libertaires du pays.
Au dernier échelon de la société, il y avait les « rallares », bûcherons et ouvriers des lignes de chemins de fer, qui étaient séparés de leurs familles pendant la plus grande partie de la semaine, parfois plus, et étaient exposés dans leur hutte primitive aux injures de la nature. Tu viens comme un oiseau de printemps dans notre froide nuit nordique
, me dit après ma conférence un travailleur de la forêt, en faisant chauffer de l’eau pour le café sur sa primitive cuisinière à pétrole. Comme presque quarante ans après je fis à nouveau une tournée de conférences dans le nord de la Suède, un forestier m’invita dans sa coquette maison individuelle. Maintenant, les bûcherons vont au travail le matin soit avec leur voiture personnelle, soit avec une voiture commune et rentrent tous les soirs à la maison. Les arbres sont abattus à la scie mécanique et le travail a perdu sa dureté d’autrefois. En 1974, les bûcherons gagnèrent de haute lutte une grève pour l’obtention d’un salaire fixe mensuel.