Le 29 juillet 1914, les représentants de l’internationale socialiste se rencontrèrent à Bruxelles, pour prendre position sur le danger immédiat d’une guerre. Et au cours des discussions, les sociaux-démocrates allemands et autrichiens montrèrent que leurs sentiments nationaux étaient plus forts que l’internationalisme socialiste. Karl Legien, le représentant des syndicats allemands, fit comprendre, sans aucune ambiguïté possible, à son collègue français Léon Jouhaux que les travailleurs allemands marcheraient et ne feraient pas grève, alors que quelques jours auparavant, la Bataille syndicaliste, l’organe des syndicats français, s’était encore prononcée pour l’empêchement de la guerre par la grève générale. La social-démocratie allemande, la plus forte section de l’Internationale socialiste prit sa part de responsabilité dans la guerre en votant les crédits de guerre au Parlement (où elle avait 110 députés). Les nombreux appels télégraphiques des syndicats étrangers à l’adresse de la Confédération générale des syndicats allemands (Allgemeine Deutsche Gewerkschaftsbund) pour empêcher la guerre par une action commune n’eurent aucun écho. Le sort était jeté. Quatre mois plus tard, le 2 décembre, la fraction social-démocrate au Parlement allemand vota le renouvellement des crédits de guerre. Seuls Karl Liebknecht et Otto Rühle s’y opposèrent. Quelques autres les rejoignirent plus tard.
Lorsque la guerre éclata, je me trouvais à Vienne, où je rendais visite au groupe communiste anarchiste fondé par Rudolf Großmann (Pierre Ramus). Bien que la police sut qu’il s’agissait d’un groupe de « kropotkiniens » et de « tolstoïens » non violents, nous étions sans cesse exposés à la répression. Peu de temps après le déclenchement des hostilités, je fus donc arrêté et expulsé vers mon pays d’origine. On enchaîna ma main droite à la main gauche d’un compagnon d’infortune. On ne nous ôta pas les chaînes, même pour la nuit. Deux jours après, je fus livré au commandant de la petite ville de garnison silésienne, Neustadt, comme « fumiste ». Sur mon mandat d’arrêt, marqué d’une croix rouge, était écrit : attention, anarchiste ! Cela devait être écrit sur mon front, car il n’y avait aucune bombe dans ma valise. Je passai quelques semaines à l’hôpital militaire, à cause d’une grave crise cardiaque, qui ne mit cependant pas ma vie en danger. En congé de convalescence, je n’attendis pas qu’on revienne me chercher. Cette guerre « pour le kaiser et la patrie » n’était pas la mienne.