Du non-conformisme à l’antimilitarisme
Mon père était un des plus anciens sociaux-démocrates de Silésie. Un jour – je devais avoir huit ans – un garçon me lança, au cours d’une dispute d’enfants, le mot « social-démocrate » à la figure ; quand je demandai à ma mère en quoi cela devait constituer une insulte, elle leva mystérieusement le doigt devant sa bouche et nous raconta que les sociaux-démocrates avaient autrefois été interdits. C’est en 1890, deux ans avant ma naissance, que la loi sur les socialistes fut abrogée. Notre mère nous raconta les tracasseries auxquelles était exposée la famille au temps de cette loi. La police venait fréquemment à la maison Pour rechercher des écrits interdits. Mais les brochures illégales et la correspondance étaient bien cachées dans le grenier, et le journal social-démocrate si ingénieusement dissimulé dans la cage aux oiseaux, que les gardiens de la loi ne purent jamais rien trouver. Après l’écrasement de la Révolution russe de 1905, des réfugiés révolutionnaires arrivèrent de Kongresspolen – autrefois en Russie – à Ratibor, la ville-frontière voisine. Leurs histoires et leurs discussions sur la révolution, dans notre maison, étaient, pour l’enfant de 13 ans que j’étais, un événement et une révélation. Un nouveau monde apparaissait à mes yeux. A partir de ce moment, mon rêve fut de devenir révolutionnaire et socialiste.
Mon premier acte de rébellion ne se fit pas attendre : un mois plus tard, mon frère aîné, Karl, et moi, nous refusâmes de nous lever et de chanter « Salut à toi sous ta couronne triomphale » à une fête pour l’anniversaire du kaiser. Nous fûmes expulsés avec fracas de la salle. Fiers de notre courage civique, nous chantions sur le chemin de la maison, ce refrain de la chanson des étudiants de 1848 que mon père nous avait appris : Si l’on te demande ce que fait l’Absalom (Wilhelm) / Tu peux dire qu’il est déjà pendu / Non à une corde, non à un arbre / Mais au rêve de la république allemande.
Notre rébellion avait éveillé la méfiance et eut un véhément épilogue à l’école.