Les hommes en général n’aiment point les femmes d’esprit et cela probablement par la même raison que les prêtres et les tyrans haïssent les philosophes. Un instinct secret les avertit les uns et les autres que le règne des préjugés cesse quand celui de la raison s’établit.
Constance de Salm.
Proudhon et les femmes..., vaste sujet d’autant qu’il s’inscrit dans un siècle où « la
question » des femmes occupe nombre d’esprits. Romanciers, poètes, philosophes ou hommes politiques l’aborderont en effet comme une nécessité brillante. Proudhon sera de ceux-là et, d’une note en bas de page dans Qu’est-ce que la Propriété ? en 1840 à la publication posthume en 1875 de De la Pornocratie ou les Femmes dans les temps modernes, la question de la destinée sociale des femmes restera présente dans ses écrits ; dans le Système des contradictions économiques en 1846, mais aussi dans deux études de De la Justice dans la Révolution et dans l’Eglise en 1858.
A ces réflexions s’ajouteront nombreux articles de journaux où Proudhon sera mis en demeure de s’expliquer tant bien que mal face aux attaques en règle des féministes... Devant l’ampleur des débats et des études, nous nous bornerons à exposer brièvement l’analyse proudhonienne. Aussi conviendra-t-il de « replacer » l’idée de la femme dans le système proudhonien et dans les pratiques sociales de son époque ; ne pas négliger, enfin, les réactions suscitées par le discours masculin. Le féminisme qui retrouve alors un nouveau souffle (Seconde République) ne manquera pas de répliquer aux contradictions masculines.
Proudhon et ses contemporains
Avant d’aborder point par point l’idéal proudhonien, il nous semble utile de resituer Proudhon parmi les hommes de son époque. Force est de constater en effet que de Proudhon à Hegel, du père de l’anarchisme au théoricien de l’État, unanimité est faite autour de la question des femmes. Le principe d’une « essence », d’une « identité » féminine est admis par tous. Si la fonction sociale de la femme est restreinte à « sa » vocation maternelle et nourricière, c’est que son corps la condamne à être l’unique instrument de reproduction. L’humanité est mâle
et, du même coup, l’homme définit la femme relativement à lui : jamais concurrente, donc jamais équivalente, la femme est l’autre de l’homme ; ses fonctions « complètent » celles de l’homme : il pense, elle aime, il conçoit, elle met au monde.
A ce titre, le partage des rôles se fait non selon les compétences individuelles (ce qui constituera le leurre de Fourier), mais selon l’appartenance à l’un ou l’autre des sexes. La fonction naturelle de la femme — la maternité — lui interdit du même coup de participer à tout acte « social ». La justification de cette partition repose sur cette « identité » naturelle entre mythes et réalités. Ainsi du procureur Chaumette qui s’adressait aux femmes venues assister aux discussions de la Convention nationale : Femmes imprudentes qui voulez devenir des hommes n’êtes-vous pas assez bien partagées ? Que vous faut-il de plus ? Au nom de la nature restez ce que vous êtes, et loin de nous envier les périls d’une vie orageuse, contentez-vous de nous la faire oublier au sein de nos familles
[1]. Le mot est lancé ! Et pourtant, l’épisode révolutionnaire est marqué par l’émergence des femmes sur la scène publique. Leur participation active au mouvement bousculera l’univers masculin : il est vrai qu’elles réclameront plus pour l’amélioration de leur condition qu’elles n’en avaient jamais sollicité en plusieurs siècles. En septembre 1791 paraissent sous l’égide d’Olympes de Gouges les Droits de la femme et de la citoyenne où elle clame pour les femmes le droit de monter à la tribune comme celui de périr sur l’échafaud (pour toute réponse, elle sera guillotinée le 3 novembre 1793 !).
Le 20 octobre 1793, les clubs féminins liés à la fraction la plus radicale de la révolution sont interdits. Le 4 prairial an 111 (1795) enfin la Convention nationale décrète : Toutes les femmes se retireront jusqu’à ce qu’autrement soit ordonnées dans leur domicile respectif, celles qui une heure après le présent décret seront trouvées dans les rues attroupées au-dessus d’un nombre de cinq seront dispersées et mises en état d’arrestation jusqu’à ce que la tranquillité publique soit rétablie dans Paris
[2]
Les lendemains de la Révolution française marqueront ainsi les jours les plus sombres de l’histoire des femmes : interdites de cité, leur sort est désormais réglé par le Code civil. Napoléon, aidé et entouré d’une commission de quatre membres, y stigmatise le rôle de la femme. Code civil que Proudhon saluera en ces termes : Le Code civil, interprète de la Révolution, est admirable en la matière
; et de citer :
Art. 212 : les époux se doivent mutuellement fidélité, secours et assistance.
Art. 213 : le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari
Art. 214 : la femme est obligée d’habiter avec le mari et de le suivre partout où il juge à propos de résider
[3].
Très peu d’hommes s’opposeront en fait à cette conception de la femme éternelle mineure
. Seuls quelques-uns, de Condorcet aux disciples de Saint-Simon ou de Fourier, préconiseront une voie nouvelle pour les femmes. Les autres s’attacheront à une image mythique où l’individualité sera niée, mais où l’entité féminine sera adulée
. Cette croyance en une inégalité naturelle de l’homme et de la femme va entraîner dans son sillage une consécration de la « féminité ». Ainsi du discours proudhonien qui se veut être celui d’une célébration de la nature.
Raillant les penseuses qui tuent leur progéniture
par leurs baisers qui sentent l’homme
[4], il ne cesse de célébrer les femmes pour leur beauté, leur sensibilité. A celles qui s’opposent, il répond : Mesdames, si le droit de la femme était la seule chose qui vous tint au cœur, voici tout ce que vous aviez à me dire : Monsieur Proudhon, vous êtes jusqu’à présent le premier de nos défenseurs et nous sommes heureuses de vos excellentes dispositions. (...) Il y a en vous l’étoffe d’un fervent adorateur de la femme, d’un féal chevalier de la reine du ciel
[5].
De nombreux auteurs seront très proches de Proudhon sur la question des femmes. A propos de Michelet, Jeanne Calo remarque : Le misogyne est par définition celui qui hait la femme tandis que l’antiféministe peut l’admirer sous ses aspects essentiellement féminins et même en faire une idole. Il la cantonne pourtant dans ses rôles de procréatrice et d’épouse dévouée (...). S’il lui attribue des qualités de cœur et de sensibilité, il lui refuse les facultés intellectuelles qu’il croit propres à l’autre sexe. Il est toujours de manière plus ou moins consciente imbu de la suprématie masculine, convaincu que la femme a été créée pour le bonheur de l’homme et que c’est à ce dernier qu’incombe la tâche de diriger la famille et la nation
[6].
Proudhon, d’ailleurs en correspondance avec Michelet, note :
Bruxelles, 23 janvier 1859,
Cher maître,
J’ai reçu, chacune en son temps, vos bonnes lettres et votre Amour, La Femme ne m’est pas encore parvenue et je garde l’exemplaire de notre ami, M. Jonquières.
Vous êtes toujours vous-même, fidèle dans votre vie et marchant toujours dans votre progrès. (...) J’ai lu l’Amour, ce n’était pas la peine que vous prétendissiez différer d’opinion avec moi. Nous voulons tous les deux la même femme forte, la famille sacrée, le mariage inviolable. L’époux et le père souverains parce qu’il est dévoué comme le Christ, Deus quia passus
[7].
L’idéal proudhonien
Si Proudhon aborde régulièrement ce qu’il est convenu d’appeler la « question » des femmes, c’est dans De la Justice qu’il s’explique le plus clairement. A ce titre, les dixième et onzième études (Amour et Mariage) ne se veulent pas être uniquement consacrées aux femmes. Proudhon y souhaite à la fois justifier son opinion et replacer le rôle dévolu aux femmes au travers d’une problématique beaucoup plus large... vers la Justice. Son discours se fera moins coupant : il s’agit pour lui de faire la démonstration du bien-fondé du statut féminin. Aussi s’il conclut dans le premier chapitre de la onzième étude à la triple infériorité des femmes, du point de vue physique, moral et intellectuel (p. 181), c’est pour affirmer que la femme est supérieure à l’homme non par le travail, le génie et la justice
où l’homme est à la femme comme 27 est à 8
mais par les grâces de la figure et de l’esprit, par l’aménité du caractère et la tendresse du cœur
, où elle est à l’homme comme 27 est à 8 (p. 271) [8].
Affirmant donc l’infériorité féminine et son incapacité à s’illustrer dans le domaine de la pensée ou de l’action, Proudhon applaudit bien fort aux qualités d’amour et de tendresse qui la caractérisent. Son propos consiste ainsi à opposer inlassablement des aptitudes dites féminines et masculines. De la même façon, il déclare que du côté masculin
on note brutalité, paresse égoïste, lâche tyrannie ; que de crapule !
et chez la femme on remarque légèreté, folie, parfois insolence !
, mais aussi ineptie et bavardage
et noblesse, ordure sous sa vaine coquetterie
(p. 279).
Son but est de prouver que si l’un a reçu de la nature la puissance et l’autre la beauté, ils peuvent à eux deux exprimer une forme achevée de l’humanité. Point d’égalité et d’équivalence, mais complémentarité qui mène à l’union naturelle
. Tout en rénovant d’avec le mythe platonicien de l’androgynie selon lequel l’humanité aurait compté un être androgyne avec deux têtes, quatre bras et quatre jambes, Proudhon cherche à garantir et la nécessité du mariage et l’incommutabilité des « qualités » masculines et féminines. (D’autres comme Fourier et Enfantin y verront au contraire un facteur de mobilité sexuelle !)
Le mariage devient ainsi l’union de deux éléments hétérogènes, la puissance et la grâce
car toute la création qui, de la mousse aux mammifères, a préparé, par la distinction des sexes, l’ineffable mystère, applaudit au mariage
(p. 275). Si l’homme et la femme ne sont pas égaux devant la société, dans la pratique extérieure et dans tout ce qui concerne les travaux et la direction de la vie, l’administration et la défense de la République
reste néanmoins qu’au point de vue de leur dignité et de la félicité, dans le secret de la chambre nuptiale et dans leur for intérieur, oui ! ils sont égaux !
(p. 278).
Cet être familial est, selon Proudhon, le garant de la justice dans la mesure où il faut une dualité formée de qualités dissemblables et complémentaires
(p. 264). La justice s’exprimerait en fait par trois degrés de juridiction : le mariage, qui unit deux êtres complémentaires, en est le premier degré. Vient ensuite la famille où l’enfant recevrait par l’amour la révélation de la justice. Cette communauté de conscience serait l’embryon de toute république. Au troisième degré enfin se trouve la cité. Au bout du compte, Proudhon cherche à se laver des attaques et des accusations des féministes. Dans De la Justice, il justifie la subordination de la femme sans cesser cependant de la louer. Quand il s’interroge sur le sort de la femme (chapitre III de la 11e étude), il ne peut que conclure à une destination « domestique ».
La nature de la femme, contre laquelle elle ne peut lutter, la conduit à la maternité où elle « excelle » par définition. Malheur donc à celles qui chercheront une voie nouvelle ou rivaliseront avec l’homme car s’il y a antagonisme, joute, agiotage, discorde, guerre
(p. 258), il n’y a plus d’entité androgyne, plus de famille et enfin la justice se trouverait compromise.
Proudhon polémique
Fidèle à ses écrits, Proudhon ne manquera pas de réagir dès qu’objection lui sera faite. Son fameux ménagères ou courtisanes
des Contradictions illustrera, jusqu’à sa mort, son propos. L’année 1848 fera date dans l’histoire des femmes. Il s’agit tout d’abord de leur « retour » sur la scène révolutionnaire où elles seront présentes comme en 1789. Mais la question du droit de vote universel va raviver débats et polémiques. Dès février, certaines journalistes de la Voix des femmes, organe des intérêts de toutes
, vont réclamer le droit de cité. Le 28 mars, Jeanne Deroin publie une Pétition au gouvernement provisoire pour demander les droits politiques des femmes.
En 1849, après avoir fondé son propre journal, la première « suffragette » clame que le moment est venu pour la femme de prendre part au mouvement social et à l’œuvre de régénération sociale
[9]. Elle revendique enfin le droit de participer aux travaux de l’Assemblée législative et pose sa candidature
. Le 10 avril 1849, elle proteste : Vous êtes démocrates socialistes, vous voulez l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme et de la femme par l’homme, vous voulez l’abolition de tous les privilèges de sexe, de race, de naissance, de caste et de fortune, vous voulez sincèrement toutes les conséquences de nos grands principes : liberté, égalité, fraternité ? C’est au nom de ces principes qui n’admettent pas d’exclusion injuste que je me présente candidat à l’Assemblée législative et que je viens demander votre appui au moins pour obtenir de votre justice que je ne sois point écartée de cette liste au nom d’un privilège de sexe qui est une violation manifeste des principes d’égalité et de fraternité
[10].
Parmi ses nombreux détracteurs, nous trouvons tout naturellement Proudhon qui s’expliquera dans deux articles du Peuple sur cette candidature qui fut, malgré un long et acharné combat, jugée inconstitutionnelle. Proudhon y affirmera une fois de plus que le rôle de la femme est au foyer et que, quoi qu’il en soit, le vote ne saurait uniquement résoudre la question sociale. D’autres comme Michelet notent que la femme est un être superstitieux, naturellement « conservateur » et craignent ainsi que donner le droit de vote aux femmes revienne à faire tomber dans l’urne 80 000 bulletins pour les prêtres
[11].
Au bout du compte, la polémique ne s’arrête pas là : exclu en 1848 comme en 1789, le mouvement féminin, alors proche des révolutionnaires, va peu à peu s’organiser en mouvement autonome pour finir par se désolidariser d’avec les luttes ouvrières. Invitées à subordonner leurs revendications à la lutte des classes
, les femmes vont se lancer dans un militantisme féministe, début d’un long malentendu
comme le signale Michelle Perrot : le féminisme est alors condamné à être bourgeois quasi par essence
[12].
La rupture consommée, les féministes vont désormais lancer des attaques en règle. La théorie proudhonienne sur la femme et l’amour se révèle être une cible offerte
tant Proudhon y brasse paradoxes, aberrations scientifiques et misogynie exemplaire. Deux femmes, deux insurgées aux doigts tachés d’encre
selon ses propres termes, vont lui tenir tête. En décembre 1856, Jenny d’Héricourt publie dans la Revue philosophique (dont elle est la collaboratrice) un article, « M. Proudhon et les femmes ». Un mois plus tard, il lui répond, suscitant une nouvelle réplique de d’Héricourt en février 1857. Si bien qu’en mars Proudhon s’adresse aux rédacteurs de la revue en leur signifiant ne plus vouloir poursuivre la polémique.
En 1858, Proudhon publie De la Justice dans la Révolution et dans l’Eglise où deux études sont entièrement consacrées à la question des femmes. Il n’aborde cependant rien de la polémique et des débats qui l’oppose à elles. Cette année-là paraissent les Idées antiproudhoniennes de Juliette Lamber (Juliette La Messine). La jeune romancière va, dans un style alerte et incisif, mettre en difficulté le vieux Proudhon. Elle s’inquiète de ce que ses doctrines sur la femme (...) expriment le sentiment général des hommes, qui à quelque parti qu’ils appartiennent, progressistes ou réactionnaires, monarchistes ou républicains, chrétiens ou païens, athées ou dévots seraient enchantés qu’on trouvât le moyen de concilier à la fois leur égoïsme et leur conscience en un système qui leur permît de conserver les bénéfices de l’exploitation appuyée sur la force, sans avoir à craindre les protestations fondées sur le droit
[13].
La saint-simonienne Jenny d’Héricourt publie en 1860 à Bruxelles deux volumes intitulés La Femme affranchie, réponse à MM. Michelet, Proudhon, E. de Girardin et autres novateurs modernes.
Et ses deux insurgées vont se « moquer » des arguments avancés par Proudhon. En particulier de son argumentation prétendument scientifique : Jenny d’Héricourt l’enjoint à se mettre au courant des derniers résultats de la phrénologie, de l’anatomie, etc. Que si, comme il l’affirme dans De la Justice, la pensée en tout être vivant est proportionnelle à la force
(p. 191), il ne doit pas être difficile de prouver grâce à un dynamomètre qu’un portefaix pense mieux qu’un philosophe
[14].
Enfin, elles lui reprochent sévèrement d’être en contradiction avec ses écrits car s’il soutient que ni la figure, ni la naissance, ni les facultés, ni la fortune, ni le rang, ni la profession, ni le talent, ni rien de ce qui distingue les individus, n’établit entre eux une différence d’espèce, tous étant hommes et la loi ne réglant que des rapports humains, elle est la même pour tous
[15], reste à prouver que la femme est hors de l’espèce humaine !
Proudhon, victime et bourreau
Ces attaques, fort bien menées au demeurant, agaceront Proudhon. Il s’en expliquera dans De la Pornocratie, publication posthume. Dans cet ouvrage, Proudhon s’accrochera à ses thèses jusqu’à en sombrer ! Sa réponse sera donc presque parfois injurieuse et, sous une apparence d’argumentation méthodique et ordonnée, elle demeure confuse, malveillante et sans nulle grâce
[16]. Ainsi de l’introduction :
A Mmes J*** L** et Jenny d’H***,
Je possède vos trois volumes et je les ai lus : ce n’a pas été sans effort. Jamais je n’éprouverai pareil mécompte, jamais plus détestable cause ne fut servie par de si pauvres moyens. (...) et ce qui m’affecte de votre part, c’est l’effronterie même de la déraison (...). Vous figurez, comme dames patronesses, au premier rang de cette pornocratie qui, depuis plus de trente ans, a fait reculer en France la pudeur publique
(pp. 326-328).
La pensée proudhonienne se divise en différentes époques : la première, constituée des Contradictions et De la Justice, où il s’exprime sur la destinée sociale de la femme ; la seconde, celle des polémiques qui ternissent sa philosophie auprès de la population féminine émancipée ; et enfin celle de la Pornocratie où il perd, semble-t-il, sa cohérence et sa crédibilité. Une constante demeure cependant : l’antiféminisme, voire la misogynie.
Aussi révoltantes que soient ses théories en la matière, il s’agit là d’opinions largement répandues et partagées par la plupart des hommes de son époque. Le nombre impressionnant d’ouvrages masculins traitant de la question des femmes est là pour en attester ; ce qui fera dire en 1929 à Virginia Woolf que de tous les animaux de la création, la femme est celui dont on discute le plus
. Ces écrits qui sont aussi bien le fait de médecins, de biologistes ou d’hommes que rien ne semble qualifier en apparence pour parler des femmes, sinon qu’ils n’en sont pas
[17], oscillent entre deux opinions contradictoires qui vont du sentiment d’admiration pour la « chose » femme (plus particulièrement mère) au mépris de l’individu « femelle ». A ce titre, Proudhon n’a rien inventé : il a été autant victime d’une tradition séculaire d’antiféminisme que bourreau de la condition féminine. Son audience dans le public militant et ouvrier est « réelle » dans la mesure où elle répond à une volonté, à un besoin : garder une image « pure », quasi mythique, de la femme.
A la fin du siècle, le mouvement anarchiste s’entredéchirera sur ce sujet selon le même schéma, parfois nous trouvons dans le Libertaire des articles qui dénoncent l’égoïsme masculin en s’attaquant aux idées de Proudhon [18] et d’autres, comme celui de Rodolphe Véris, affirmant : Que la femme suive donc les instincts de sa nature en demeurant au foyer pour élever les tout-petits, qu’elle garde intacte à l’abri des vulgaires compromissions sa belle fonction de première éducatrice de tous les hommes
[19]. Tous s’accorderont à multiplier des attaques parfois violentes contre les féministes qu’ils rangent d’emblée parmi les bourgeoises et les intellectuelles. Ceux qui adhèrent aux luttes de leurs compagnes ne pourront s’empêcher de combattre les femmes qui veulent construire un mouvement spécifique... Ayant mis à l’écart la femme durant tous les combats du XIXe siècle, ils n’admettront pas que celles qu’ils ont exclues du genre humain puissent salutairement leur livrer bataille.