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La naissance d’un journal : « Le Libertaire » américain (1858-1861)

samedi 24 février 2024, par Maurice Joyeux (CC by-nc-sa)

Ainsi, le Barbe-Bleue impérial touche aux moments suprêmes ; ânes, mes bourgeois, ne voyez-vous rien venir ? Vous ne voyez que la dictature ou les Orléans ? Eh bien moi, je vois deux cavaliers, le Génie de l’avenir et la Némésis de la Misère, et, plus loin, la Révolution sociale qui flamboie et l’arbre de la liberté qui verdoie.

Joseph Déjaque, Le Libertaire, New-York, 9 juin 1859.

Sous une forme qui a souvent varié, Le Libertaire est un des plus vieux titres de la presse de langue française.

Au cours de ces cent cinquante dernières années, chacune des nuances de la pensée socialiste révolutionnaire a été représentée en son temps par un journal dont le titre, dans sa continuité, a subi les aléas que lui imposèrent ses démêlés avec la justice, ses difficultés économiques, ou simplement les influences internes qui se disputaient sa direction. Le Libertaire, pas plus que d’autres titres, n’échappera à ces vicissitudes qui furent le lot de la presse depuis que Théophraste Renaudot lança, en 1631, la première feuille politique qu’il appela La Gazette. Ainsi, Le Peuple de Proudhon sera, au hasard des événements politiques, Le Représentant du Peuple ou La Voix du Peuple comme Le Libertaire deviendra de nos jours Le Monde libertaire. Mais le lecteur ne s’y trompera pas ! II sait bien qu’il s’agit toujours du même journal, dont les mots « Peuple » ou « Libertaire » assurent la pérennité, et que cette « gymnastique » littéraire que subit le titre a simplement pour objet d’échapper au pouvoir, toujours prêt à frapper la presse ouvrière au gousset !

Joseph Déjacque

Le premier Libertaire fut créé par Joseph Déjacque, écrivain et journaliste anarchiste du milieu du siècle dernier, réfugié aux Amériques à la suite du coup d’État de Napoléon le Petit, le 2 décembre 1851. Dans un article, Pierre Leroux, un socialiste chrétien qui l’a bien connu, dit plaisamment : C’est Déjacque, un prolétaire, qui écrivit à New-York une feuille dont le libre néologisme, inventé par lui, exprime bien sa pensée : Le Libertaire ». Joseph Déjacque nous a laissé une suite de textes étonnants, non seulement par la profondeur de la réflexion, mais aussi par la qualité de l’écriture qui n’a rien à envier à celle de Proudhon dont il fut l’ami et le critique sans complaisance.

Le premier numéro du Libertaire parut le 9 juin 1858 à New-York. Le journal sortira irrégulièrement pendant trois ans. Son dernier numéro, le numéro 27, est de février 1861. Pendant sa courte existence, en dehors d’analyses sur la situation en France, de potins de l’exil, d’une vigoureuse polémique sur le communisme de Cabet, le journal prendra parti contre l’esclavage des Noirs, problème qui agite l’Amérique avant la guerre de Sécession. On a dit que Le Libertaire fut créé par Joseph Déjacque pour y publier en feuilleton son principal ouvrage, L’Humanisphère, merveilleux pamphlet comme on ne doit plus en écrire de nos jours, dans lequel le militant anarchiste trace à grands traits les contours d’une société libertaire. C’est, à ma connaissance, dans un raccourci saisissant et moins délayé que l’œuvre de Prouhdon -dans laquelle le meilleur voisine avec le pire - la première ébauche solide d’une société sans classe, sans autorité et sans État [1] !

Voir en ligne : Textes de Joseph Déjacque disponibles sur la Bibliothèque Anarchiste


  « Le Libertaire » avant La Première Guerre mondiale (1895-1914)



[1Pour ce Libertaire de la préhistoire du mouvement ouvrier, consulter, en dehors des numéros conservés par l’Institut international d’histoire sociale à Amsterdam, A bas les chefs de Joseph Déjacque aux éditions Champ libre, ouvrage qui contient, avec de nombreuses notes, les principaux textes de Joseph Déjacque.