Emile Guillaumin, l’écrivain paysan, l’auteur de La Vie d’un simple, vient de mourir à Ygrande où il était né. Il s’est éteint dans sa soixante-dix-huitième année.
Toute la presse s’est bornée à l’énoncé de cette nouvelle, l’étirant en dix ou quinze lignes.
Nous le constatons simplement. Guillaumin restera comme une des figures les plus attachantes de notre littérature. Poète, essayiste, romancier fécond, il était resté un homme de la glèbe, et son œuvre est, dans la littérature paysanne, la plus caractéristique par son authenticité parce que c’était de la même main qui s’appuyait sur la bêche ou tenait le mancheron de la charrue qu’il l’écrivit.
La Vie d’un simple, en 1904, ayant connu un grand succès, nationalement et internationalement, et les livres qui suivirent n’ayant pas obtenu une si large audience, on a tendance à vouloir voir en leur auteur l’homme d’un seul livre. C’est une grossière erreur, contre laquelle il faut s’élever. Dans un des rares articles (car ils ont été rares) qui viennent d’être donnés, celui du Peuple de Bruxelles, Louis Piérard déclara : Il était l’auteur d’un seul livre, mais quel livre !
. Piérard n’aurait-il pas lu Le Syndicat de Baugignoux, c’est à croire et c’est bien dommage.
Il est possible que tels de ses ouvrages ne soient pas de la même puissance, de l’ampleur des Mémoires d’un métayer, mais tous sont gonflés de la même émotion saine et d’une égale véridicité.
Devant un écrivain comme Guillaumin, autodidacte, il ne peut être question de juger seulement un artiste. Il avait été à l’école jusqu’à douze ans, rappelé aux réalités des exigences de sa vie de pauvre, ses humanités se poursuivirent dans le travail quotidien de la petite ferme que faisaient valoir ses parents. Rien ne le prédisposait à être un homme de lettres si ce n’est qu’il aimait lire. Il lisait tout ce qui lui tombait sous la main, mais ses lectures furent moins l’enseignement de la technique de l’écriture qu’une confrontation avec la vie qu’il vivait ; ces livres ne faisaient que rarement une part à l’existence rurale et ceux qui en parlaient montraient plus d’application et de bonnes intentions que des dons d’observation. Il essaya alors de prendre la plume. Très vite, il tenta d’exprimer ce qu’il voyait au milieu des siens. Dialogues bourbonnais et Tableaux champêtres, écrits vers la vingt-cinquième année, n’étaient certes pas des livres propres à imposer leur auteur, mais ils avaient déjà un ton. Et c’est le ton que l’on retrouvait trois ans plus tard dans La Vie d’un simple. Guillaumin y montrait le paysan plongé dans la réalité, aimant la nature comme l’enfant aime sa mère ; et peut-être pour la première fois dans le roman français, un auteur avait su dire combien la vie paysanne était la communion au jour le jour de l’homme avec la nature.
« L’homme d’un seul livre » !
C’était une sorte de fresque que retraçaient ces Mémoires d’un métayer, mais le peintre s’y révélait plus un psychologue et un historien qu’un dessinateur. Par-delà la couleur et le trait, c’était, au-delà des mots, l’expression même de l’âme paysanne. Dans une langue simple, sans éclat, mais vibrante, l’œuvre donnait l’impression d’apporter un sujet neuf. Mirbeau le comprit qui lança le livre... et des esprits aussi différents que Daniel Halévy, Pourrat, Jean-Richard Bloch, le poète auvergnat Vermenouze, en dirent alors les mérites. Cependant, nul mieux que Lucien Jean, qui révéla Charles-Louis Philippe à lui-même, ne sut dégager la leçon de cette publication. Je tiens à le signaler, notait Lucien Jean, comme un événement en dehors de la littérature, comme l’expression spontanée de la vie d’une classe, d’une époque
. Devenu écrivain par vocation, M. Guillaumin, disait-il, a mis dans ce livre l’essentiel, la vie profonde, sans souci de l’émotion qui se dégage puissamment, d’ailleurs. Lucien Jean définissait d’une formule que je veux reprendre l’originalité de cette œuvre : celle d’art spontané. Toute l’œuvre de Guillaumin est sous ce signe. Qu’on prenne Le Syndicat de Baugignoux, Près du sol, A tous vents sur la glèbe, et même les œuvres secondaires, comme Rose et sa Parisienne, Baptiste et sa femme, La Peine aux chaumières, on retrouve cette spontanéité.
Essayiste, Guillaumin avait donné deux remarquables études, Panorama de l’évolution paysanne, de 1870 à 1935, et François Péron, enfant du peuple, voyageur et géographe.
Militant socialiste, il resta toujours dévoué à sa classe, et l’explication de l’insuccès du Syndicat de Baugignoux, livre magnifique, c’est que son auteur, au lieu de hanter les salons, profitant du succès de La Vie d’un simple, faisait de l’action syndicaliste et coopérative. Le Syndicat de Baugignoux retraçait les luttes, les espoirs et les premières victoires acquises du prolétariat paysan. Il est curieux de constater que c’est à partir de ce livre que la critique se désintéressa de lui. C’est à partir de ce moment qu’on déclara qu’il était l’homme d’un seul livre. Au bout de quelques années il était devenu quasi inconnu. Au point que Thérive, en 1925, le croyait défunt, ce qui lui valut une lettre du pseudo-mort.
Guillaumin venait de temps en temps à Paris mais on le connaissait si mal dans les milieux littéraires
qu’un jour un homme de lettres ayant l’idée de composer une anthologie de la littérature paysanne, me posant quelques questions, en arriva à Guillaumin :
— Pour Emile Guillaumin, je ne sais si je l’irai voir... ce doit être un paysan honoraire...
— Ah ! lui répondis-je, si vous avez l’honneur de serrer la main de Guillaumin un jour, vous pourrez com-parer avec la vôtre. Vous verrez si on a ces mains-là en maniant le porte-plume...
Plusieurs fois couronné par l’Académie française, Guillaumin avait obtenu le prix Olivier de Serres en 1942 pour l’ensemble de son œuvre.
Il avait connu la gloire, mais sans la richesse, et jusqu’à la fin mena de pair sa petite exploitation agricole et l’édition de ses derniers manuscrits. Le dernier paru, Sur l’appui du manche, traîna d’éditeur en éditeur avant de pouvoir sortir.
Mais Guillaumin était un sage, et il savait que son œuvre lui survivrait. Pour le reste, il demandait au travail de la terre de le nourrir, lui et les siens. Dure peut-être, du moins elle n’est pas ingrate. Qu’importait la vente de ses livres et les satisfactions de vanité !
Sa mort le rappelle au souvenir des vivants. On répétera sans doute encore : Il était l’homme d’un seul livre
. La critique littéraire vit sur des clichés. Mais même en serait-il ainsi qu’il y aurait une différence entre Guillaumin et les auteurs qu’on déclare hommes d’un seul livre... La Vie d’un simple, c’était aussi une date. Une des rares dates inoubliables dans l’histoire des lettres, celle de l’entrée d’un accent nouveau dans le domaine de l’art. [1]