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VIII. Amilcare Cipriani (1843-1918) - Retour en France

jeudi 21 mai 2020, par Victor Méric - Flax (CC by-nc-sa)

L’odyssée de Cipriani n’était pourtant pas terminée. On le vit s’embarquer, une fois de plus, pour la Grèce, où il organisa une légion à la tête de laquelle il marcha sur la Macédoine. Blessé à Larissa, il eut les jambes fracassées. Après de longs mois de souffrances, il revint en France. L’Italie lui était complètement interdite.

Appel aux conscrits à la désobéissance, à la désertion et à l’insurrection. Cet appel est signé, pour la branche parisienne, entre autres par Laurent Tailhade, Urbain Gohier, Gustave Hervé, Miguel Almereyda, Louis Perceau, Han Ryner, etc.

Depuis, Cipriani, entouré de la vénération de tous les esprits libres, vit modestement à Paris. Il s’est peu mêlé à la vie politique de ces dernières années. Cependant, au moment où parut la fameuse affiche rouge, il était parmi les signataires. Le jury, prenant en considération les services rendus par cet homme à la cause de la liberté et se souvenant qu’il avait jadis combattu pour la France, crut devoir l’acquitter. Nulle injure ne pouvait être plus sensible au cœur du vieux révolutionnaire. Il se leva, furieux et indigné, protestant contre cet acquittement qu’il n’avait nullement réclamé. Quelques jours après, la même affiche reparaissait sur les murs de Paris, avec sa seule signature. Le gouvernement n’osa relever cet audacieux défi.

Ce fut le dernier acte politique de Cipriani, aujourd’hui âgé de 65 ans. Il est actuellement rédacteur à l’Humanité, et vit modestement de son salaire de journaliste, dans une petite chambre de l’avenue de Clichy. L’âge n’a diminué ni ses espoirs ni ses enthousiasmes. Il demeure parmi nous comme un exemple vivant de courage, de désintéressement, de foi révolutionnaire.

Tel est l’homme. Nous avons relaté trop rapidement les incidents multiples qui illustrèrent sa carrière. Mais il aurait fallu un volume compact pour narrer le menu de la vie de ce révolutionnaire impénitent. D’un bout à l’autre de son existence, ce ne sont que complots, batailles, sacrifices, douleurs. C’est un drame très long, en plusieurs actes. Même dans sa vie privée, le dramatisme intervient. Dernièrement, Cipriani retrouvait sa fille dont il était séparé depuis le berceau, maintenant mariée et mère. Dernièrement encore, averti qu’il venait d’hériter d’une somme assez rondelette, le vieil insurgé témoignait âprement de son mépris de l’argent et refusait de toucher la somme qui lui était offerte.

Il resta de lui le souvenir. Il a peu écrit, en effet. Ce n’est pas un théoricien. Ce n’est pas un pamphlétaire. Il faut le voir comme homme d’action. Il s’imposera à l’admiration de ceux qui viennent comme un des meilleurs combattants de l’idée. Il prendra place, dans la galerie de nos martyrs, à côté des Barbès, des Blanqui, des Vaillant. On pourra éplucher sa vie, rechercher ses tares. On ne trouvera rien. Cipriani est tout entier dans ce mot : Sacrifice. Dès son jeune âge il a consacré sa vie à l’idée et pas un instant, il n’a fléchi. Tenez pour certain que si demain, un mouvement soulève les foules, vous verrez ce vieillard au premier rang, prêt comme toujours à donner son sang ou sa liberté.

Et c’est un réconfort que de contempler un instant un homme de cette envergure. Que sont auprès de son long martyre, nos pauvres années de prison, nos misérables batailles de la plume. Cipriani peut maintenant s’en aller dormir du dernier sommeil, il est assuré que sa mémoire demeurera impérissable. La Révolution, si lente à venir, réclamera de nouvelles victimes et de nouveaux sacrifices, mais parmi les glorieux combattants qu’elle prépare, Amilcare Cipriani. le vieux révolté, le héros d’Italie, de Grèce et de la Commune, le forçat de Calédonie et de Porto-Longone, le noble martyr de l’idée qui triomphera demain, brillera parmi les premiers, sur la liste des précurseurs hardis et des dévoués magnifiques [1].


[1Cipriani meurt le 2 mai 1918 à Paris.