Accueil > Editions & Publications > Volonté anarchiste > 24 - Nestor Makhno et la question juive > Nestor Makhno et la question juive

Nestor Makhno et la question juive

lundi 8 février 2021, par V. Litvinov (CC by-nc-sa)

Il existe une loi sociologique non écrite selon laquelle plus tel ou tel militant est radical, plus les récits répandus à son sujet par ses adversaires politiques et idéologiques deviennent abondants, médisants et calomnieux. Si, de plus, une telle calomnie se fait dans le cadre d’un régime totalitaire, voire policier, où les adversaires du militant en question détiennent le monopole de tous les moyens et sources d’information et où, par surcroît, leurs récits calomnieux sont l’un des instruments principaux de lutte idéologique contre l’ennemi de classe, on assiste dans ce cas à une substitution inévitable de l’historiographie scientifique par une forme falsifiée de l’histoire. Cette dernière se prête difficilement à une vérification quelconque pour la simple raison que les documents authentiques sont pratiquement inaccessibles à bon nombre de chercheurs. Et lorsque, par la suite, les effets de cette calomnie se consolident dans la conscience commune grâce au monopole des médias, ils remplissent la fonction d’agents de l’autocensure dans un esprit qui satisfait les représentants de l’élite au pouvoir.

Il est évident que dans une telle situation, toute analyse socio-historique véritablement objective et scientifique doit avant tout envisager d’établir les faits historiques fondamentaux en procédant à une vaste critique des falsifications qui prolifèrent au niveau de la « science » historique officielle, surtout lorsque celle-ci a à faire à des personnages et à des processus historiques qui ne cadrent pas dans le schéma officiellement établi. Une telle épuration des falsifications « scientifiques » s’impose à tout prix lorsqu’il s’agit de l’historiographie soviétique si nous voulons réellement parvenir à l’authenticité des faits historiques et particulièrement de ceux qui concernent l’histoire des tendances révolutionnaires russes désignées comme « petites-bourgeoises ».

Nestor Ivanovitch Makhno (1889-1934) fut l’une des figures les plus en vue de la Révolution d’Octobre et de la guerre civile en Ukraine du Sud de 1917 à 1921.
A l’approche de l’automne 1919, l’armée révolutionnaire insurrectionnelle créée et dirigée par Makhno, qui avait atteint le nombre de cent mille hommes, joua un rôle décisif aussi bien dans l’écrasement des troupes contre-révolutionnaires du général Dénikine que dans celui de l’armée du baron Wrangel un an plus tard.

Peu nombreux sont aujourd’hui ceux qui connaissent ce fait passé systématiquement sous silence par les ennemis politiques et idéologiques de Makhno. Il s’agit de la défaite de l’armée de Wrangel en octobre 1920 près des villes d’Ekaterinoslaw (aujourd’hui Dnepropetrovsk), d’Alexandrovsk (aujourd’hui Zaporozje) et de Melitopol qui fut possible grâce à l’armée révolutionnaire insurrectionnelle de Makhno qui a permis de stopper l’offensive de Wrangel en Ukraine du Nord.

Un autre fait est de même passé sous silence, à savoir la célèbre traversée du détroit de Sivach par l’armée révolutionnaire insurrectionnelle de l’Ukraine pour attaquer à revers l’armée de Wrangel, ainsi que la prise de la capitale de la Crimée blanche, Simferopol, le 19 novembre 1920, en même temps que la prise de Perekop par l’Armée rouge [1].

Cependant Makhno fut non seulement un grand chef militaire de la période de la guerre civile, mais aussi le fondateur et le président de la première république anarcho-soviétique dans le monde, créée en Ukraine du Sud et appelée République d’Azov et de la Mer Noire (Azovo-Tchernornorskaïa). Par sa superficie englobant cinq provinces actuelles : Zaporozskaja, Dnepropetrovskaja, Zdanovskaja, Khersonskaja, Nikolaevskaja) et par le nombre de ses habitants (environ quinze millions de personnes), cette république dépassait bon nombre d’États d’aujourd’hui. L’organisation d’une société autogestionnaire fut l’idée-maîtresse qui animait le travail politique de Makhno et qui fit de lui tout naturellement un opposant implacable au totalitarisme imposé dans cette région par le gouvernement communiste d’Ukraine. Ceci explique la nécessité dans la république anarcho-soviétique d’une lutte idéologique, politique et armée permanente contre les attaques des éléments de « droite » (les généraux blancs) d’une part, et de ceux de « gauche » (le commandement rouge de la République socialiste soviétique fédérative de Russie et le gouvernement de l’Ukraine) d’autre part.

Dans la mesure où, en tant que militant anarchiste et chef militaire, Makhno posait beaucoup de problèmes à. ses adversaires, il n’est pas étonnant que, plus que n’importe quel autre opposant au régime totalitaire, il inspirait et continue à inspirer des récits visant à le discréditer, ainsi qu’à discréditer le mouvement qu’il dirigeait, aux yeux du monde entier. De quoi Makhno n’a-t-il pas été accusé et ne l’est-il aujourd’hui encore : d’avoir été bagarreur, d’avoir dégarni le front face à Dénikine, d’avoir été agent secret de l’aristocratie polonaise et de Petlioura, d’avoir commis tous les méfaits possibles et inimaginables.

Un fait très particulier traverse toutefois cette « littérature » calomnieuse produite non seulement en URSS, mais aussi à l’étranger par un nombre considérable d’historiens et de publicistes. Je pense à l’accusation largement répandue faite à Makhno et à son mouvement anarcho-insurrectionnel d’antisémitisme tel qu’il était pratiqué par l’organisation ultra-réactionnaire des Cents-Noirs [2]. Cette accusation, enfoncée avec insistance dans la conscience des masses à l’échelle mondiale, finit par acquérir la ténacité d’un préjugé bien enraciné. Néanmoins, si nous pénétrons au plus profond des événements de ce passé lointain, il devient clair qu’une telle accusation n’est fondée sur rien et avait pour but de détourner l’intérêt porté sur la personnalité de Makhno et sur le mouvement insurrectionnel non seulement par les juifs d’URSS et du monde entier, mais aussi par les hommes honnêtes, sans distinction de leur appartenance nationale, à qui tout obscurantisme racial est étranger. De toute évidence, une telle propagande semble être d’autant plus concluante que les témoignages recueillis sur le pseudo-antisémitisme de Makhno sont présentés à la troisième personne pour laisser croire que ce sont des représentants neutres vis-à-vis de la lutte entre anarchistes et bolchéviks qui parlent ou encore des gens qui à un moment ou à un autre de leur existence ont été hostiles au bolchevisme.

Les exemples de tels « témoignages » ne manquent pas ! II y a quelques années, le Journal parisien, basé sur les notes quotidiennes datant de la Seconde Guerre mondiale d’un certain Nikolaï Iakovievitch Rochtchine, ex-émigré blanc, fut publié à Moscou. Aux yeux de certains idéologues soviétiques, le contenu de ce journal a paru si précieux comme instrument de propagande que la partie consacrée Makhno a été reprise par le quotidien La Voix de la Patrie (n° 46, novembre 1978), l’organe destine aux échanges culturels entre les Soviétiques et leurs compatriotes résidant l’étranger. Ainsi dans ce « journal », dans un passage daté du 16 mai 1943, l’auteur évoque de la manière suivant un épisode datant de douze ans :

Nous nous rendîmes en taxi au Hollywood français, les studios de cinéma de Joinville près de Paris... Les projecteurs s’allumaient et s’éteignaient. Pendant une pause, j’ai vu un homme qui arpentait la rampe avec une paire de jumelles de théâtre autour du cou et qui demandait, dans un mauvais français, Qui jumelle ?. Savez-vous qui est-ce ?, me demanda Morskoï en me donnant un léger coup de coude. Un Russe, je suppose. C’est Nestor Makhno. J’ai fixé mon regard sur le petit homme maigrelet au visage efféminé. Pendant la guerre civile, dans la région de Donetz, j’ai eu l’occasion de voir un petit attelage de six wagons que les Blancs avaient repris Makhno. Les wagons étaient barbouillés de slogans de toutes sortes dans un esprit plutôt brigand qu’anarchiste, protestant contre tout et contre tous. A l’endroit le plus visible, on apercevait un dessin qui représentait un juif pendu. En dessous ce dessin, on lisait : A chaque juif, trois pouds de supplices ! Je savais que le propriétaire des studios de Joinville, le directeur, le personnel administratif et technique dans sa majorité et Abel Gance lui-même étaient juifs. Je n’y comprenais rien. Les juifs ? — s’étonna Morskoï — à croire qu’ils éprouvent du plaisir à avoir parmi eux l’un des organisateurs les plus féroces de pogroms. Il y travaille comme menuisier depuis des années et, je vous assure, ils en sont très contents. Avant de quitter le studio, j’ai demandé à Morskoï de me montrer Makhno de plus près. Nous l’avons trouvé dans l’un des longs couloirs qui conduisaient aux loges des artistes. Un petit castrat aux cheveux blonds ondulés, aux sourcils froncés qui tombaient sur de petits yeux exprimant la folie, se tenait en face de moi...

Cet extrait du journal de N. Rochtchine est très caractéristique de la littérature des mémoires consacrée à Makhno. Par ailleurs, le fait qu’un quotidien soviétique reprenne un texte aussi caricatural et diffamatoire montre à quel point la propagande en URSS est peu exigeante et peu scrupuleuse dans le choix de ses moyens. En effet, du début à la fin, cet extrait n’est qu’une simple invention littéraire qui prouve que de toute évidence Rochtchine n’a jamais vu Makhno de près. Sinon, premièrement, il n’aurait pas écrit une histoire aussi absurde que celle que nous venons de citer, et deuxièmement, il n’aurait pas pu ne pas remarquer que Makhno boitait et qu’il avait une cicatrice profonde sur la joue droite à la suite d’une blessure par balle et de grands yeux bleu foncé. Et pour finir, il n’aurait jamais pu le qualifier de castrat au visage efféminé. Pour s’en convaincre, il suffit de voir les photographies de Makhno de cette époque publiées dans le deuxième et le troisième volume de ses mémoires ou encore dans l’ouvrage de P.-A. Archinov intitulé : Histoire du mouvement makhnoviste. Pour faire le portrait de Makhno, Rochtchine a vraisemblablement puisé son inspiration dans les clichés qu’on rencontre fréquemment dans la littérature des mémoires soviétique et qui n’ont rien à voir avec la réalité. On pourrait en dire autant des slogans antisémites barbouillés sur les wagons. Il ne s’agit pas de nier l’existence de tels slogans, seulement ils étaient diffusés non pas par les hommes de Makhno, mais par ceux de Chkouro et quant à Rochtchine qui a servi dans l’Armée blanche, il devrait le savoir.

Les récits calomnieux présentant Makhno comme organisateur des pogroms antijuifs en Ukraine du Sud sont largement exploités, surtout dans les récits des historiens et des publicistes soviétiques parus après 1921. Cependant, au cours de ces dernières années, une nouvelle tendance commence à s’esquisser qui, examinée à la lumière du conflit entre Israël et les pays arabes, s’avère être particulièrement intéressante et mérite notre attention. Je pense à la tentative d’établir un lien entre le prétendu antisémitisme de Makhno et le sionisme contemporain, et de tourner l’affaire de façon à laisser croire qu’un lien étroit existe entre un antisémitisme féroce et le sionisme afin de présenter ainsi l’antisémitisme en Ukraine dans son essence comme le résultat des manigances et des machinations du sionisme international.

Dans cette nouvelle histoire diffamatoire, qui prouve une fois de plus la ténacité des préjugés bien établis, l’antisémitisme de Makhno est considéré comme une évidence qui n’a pas besoin d’être démontrée, et qui est utilisée tout bonnement comme point de départ de toutes sortes d’attaques contre le sionisme et par la même occasion contre l’État d’Israël aujourd’hui.

En 1975, un livre d’un certain L.-V. Gamolsky écrit en ukrainien et intitulé : Le Trident et l’Étoile de David est paru à Dnepropetrovsk. Et il en résulte que cette nouvelle « révélation » historique que Vsevolod Mikhaïlovitch Voline (Eichenbaum), anarchiste de renommée mondiale qui a participé à la Révolution d’Octobre et ex-président de la Section culturelle et éducative du Soviet révolutionnaire de l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle d’Ukraine, n’a pas été en réalité anarcho-communiste, mais plutôt un perfide sioniste qui, paraît-il, s’était arrangé pour gagner la confiance de Makhno, afin de l’inciter à organiser des pogroms juifs et à faire basculer de la sorte la population juive d’Ukraine du côté du sionisme mondial. Les idées de Gamolsky ont bien entendu trouvé leurs défenseurs et leurs propagandistes. V. Potapov, professeur de l’institut de métallurgie de Dnepropetrovsk est l’un d’eux. Son article consacré au livre de Gamolsky, paru dans la revue Journaliste (n°9, 1976) fait l’apologie du caractère parfaitement documentaire de ce récit, de cette étude hautement scientifique, de ce brillant style de publiciste qui, je précise pour ma part, n’est pas sans rappeler le style à thèse des publications de la fameuse Union du peuple russe. Selon Potapov, la force du livre de Gamolsky réside avant tout dans le fait qu’il expose deux phénomènes diamétralement opposés qui, dirait-on, s’excluent l’un l’autre, à savoir le nationalisme de la bourgeoisie ukrainienne et le sionisme, et par la logique implacable des faits historiques, il démontre, outre leur ressemblance idéologique, leur nature de classe identique, une essence contre-révolutionnaire réactionnaire...

Après la lecture d’un tel compte-rendu, une figure se dessine devant vos yeux, celle du mystérieux falsificateur en train de rédiger un texte du genre du fameux Protocole des sages de Sion qui est, de plus, tout à fait en accord avec son premier principe, c’est-à-dire : La politique n’a rien de commun avec la morale. En effet, une telle politique qui n’a rien de commun ni avec la morale, ni avec la vérité, est le fondement de l’interprétation du mouvement makhnoviste et du sionisme contemporain que nous venons d’évoquer. Il n’y a pas d’autre approche possible de la brochure de Leonid Gamolsky, qui déborde de délire et d’ignorance, ni du compte-rendu tout aussi insensé et délirant écrit à son sujet par Potapov, grand « scientifique » et partisan des pogroms. C’est un acte de malhonnêteté que d’apporter des arguments sérieux quels qu’ils soient pour appuyer ce genre de recherche qui se veut scientifique sur le sionisme. L’aspect mensonger d’une telle entreprise est parfaitement évident pour toute personne qui connaît, ne serait-ce que dans ses grandes lignes, le mouvement sioniste et ses principes. Ils sont largement connus et il n’y a pas besoin d’y revenir à chaque fois que la presse soviétique nous sert une nouvelle absurdité à ce sujet ou à chaque fois qu’elle se met à juger le mouvement sioniste.

La question sur les rapports entre l’anarcho-communisme en Ukraine pendant la guerre civile et le mouvement pour la libération des juifs se pose en d’autres termes. Est-ce que ces rapports ont été animés, selon les affirmations de la propagande officielle, par les idées de l’antisémitisme réactionnaire des « Cent-Noirs », ou bien y avait-il autre chose ? La science historique n’a pas encore fourni de réponse bien argumentée à cette question, ce qui laisse libre champ aux falsificateurs de l’histoire lorsque ceux-ci abordent la question, qui est d’une importance théorique et politique considérable. A la limite, il ne s’agit pas seulement de Makhno en tant que personne, bien que cet aspect soit loin d’être négligeable, mais surtout du mouvement anarcho-insurrectionnel dirigé par lui, impliqué dans l’action héroïque d’une partie des masses laborieuses juives d’Ukraine pour acquérir droit à l’auto-détermination sociale et nationale dans le cadre du courant révolutionnaire anarchiste. Le fait que la population juive cherchait la clé de son problème de renouveau justement dans l’anarchisme et surtout dans sa variante communiste n’a rien de surprenant.

L’idéal anarcho-communiste d’organisation sociale comportait bien entendu un certain nombre d’éléments utopiques, mais en contrepartie il ne laissait pas la moindre place à l’oppression sociale et aux hostilités nationales. L’anarcho-communisme prêchait le « labeur fraternel » et le droit inconditionnel pour chaque peuple, mais aussi pour chaque individu, de se définir sur le plan culturel. Le concept étroitement nationaliste fut totalement étranger aux anarcho-communistes et leur paraissait même hostile. Ils qualifiaient le patriotisme, ce sentiment impérialiste de supériorité nationale, de dernier argument des vauriens [3], pour reprendre les termes de l’anarchiste américaine E. Goldman. Si par conséquent on voulait évaluer l’idéologie anarcho-communiste, sans oublier à quel point elle reflétait pleinement la psychologie sociale et les aspirations des vastes masses populaires — dont les travailleurs juifs de Russie à qui les espoirs messianiques du « royaume de Dieu » sur terre furent particulièrement chers, on ne peut pas ne pas en venir à la conclusion que dans ce sens aucune doctrine ne pouvait l’égaler, y compris le marxisme d’ailleurs.

En effet, seul l’anarcho-communisme indique le chemin à suivre pour parvenir à faire triompher sur terre le royaume de la vérité, du bien et de la justice pour les malheureux et les opprimés, sans distinction de race.

Dans les structures sociales de la Russie tsariste, la population juive, comme nous le savons déjà, fut l’une des plus opprimées et des plus asservies. Par ailleurs, parmi tous les peuples asservis, les juifs, grâce à certaines particularités de leur héritage historique et culturel, furent davantage enclins à une perception philosophique de la réalité, et qui plus est ceci fut vrai pour la communauté juive dans son ensemble, c’est-à-dire aussi bien pour ses dignitaires que pour ses simples travailleurs habitant les petites bourgades. Il est clair par conséquent que dès la création du mouvement anarcho-communiste en Russie, les premiers qui y adhérèrent furent les représentants de la population juive les plus actifs dans la lutte sociale et pour qui l’instauration du « royaume de Dieu » sur terre était imminente. En outre, c’est le milieu juif qui a fourni les principaux cadres des organisations anarcho-communistes.

L’objet du présent article n’est pas d’évoquer de façon détaillée l’histoire de ces organisations dans le sud de la Russie, mais néanmoins, pour illustrer ce qui vient d’être dit, il convient de noter que le premier groupe anarcho-communiste fondé à la veille même de la révolution de 1905 fut le groupe « Combat » à Biaystok, composé en majorité de juifs et dirigé par des représentants de l’intelligentsia juive.

Un rapport du service spécial du département de la police mentionne que les frères Broumer, Rubinstein, Pikis, Kaplan (française), Rakovsky, Koupritz, Treivich, kagan, Tyktyn, Choikh, Tsitron en faisaient partie [4]. Le tableau est analogue dans les organisations annexes du groupe de Biaystok créées par ce dernier à Grodno, Bielsko, Zabludow, Choroszcz, Trostiany et en d’autres endroits encore.

Des représentants de la jeunesse juive révolutionnaire furent les fondateurs des organisations anarchistes à Odessa, Kharkov, Ekaterinoslaw et dans les régions respectives de ces centres industriels. Là, le fondement national de l’anarcho-communisme fut bien plus vaste qu’à Biaystok ou ailleurs à cause du mode de vie sédentaire des juifs, quoique même à Biaystok les révolutionnaires juifs jouèrent un rôle primordial dans le mouvement anarchiste.

Comme nous allons le voir par la suite, la participation de la population juive dans le mouvement anarchiste pendant les deux révolutions russes prit véritablement un caractère de masse, et c’est justement cette expérience historique du peuple juif que l’historiographie officielle s’efforce de passer sous silence et même de diffamer. Quand elle parle de l’antisémitisme de Makhno et du mouvement étroitement lié à son nom, en fait elle calomnie non seulement cet ardent révolutionnaire qui a consacré toute sa vie à la cause de l’émancipation des masses travailleuses d’Ukraine, mais aussi toute la population juive dont une proportion considérable s’associa à cette cause ou lui témoigna ne serait-ce que sa sympathie.

La véritable histoire du mouvement anarcho-communiste en Ukraine du Sud est étroitement liée au nom de Makhno et au mouvement pour l’émancipation juive. Par conséquent, elle n’a strictement rien à voir avec les récits calomnieux qui prolifèrent dans l’historiographie d’État contemporaine. Pour cette raison, le travail de recherche sur l’histoire de l’anarcho-communisme devrait commencer avant tout par supprimer les effets de ces calomnies qui entourent le nom de Makhno et par rétablir les faits historiques dans leur authenticité.

Seule la totalité de ces faits historiques ainsi rétablis permettra de répondre à la question qui se pose sur la façon d’envisager le problème juif au cours de la lutte révolutionnaire dans la région de Makhno. A cette fin, il est bien entendu nécessaire de connaître ne serait-ce que brièvement les principaux moments de l’évolution du mouvement anarcho-communiste dans cette région, car c’est seulement sur cette base qu’il devient possible de faire pleinement la lumière sur cette expérience historique dont les juifs se sont enrichis pendant la Révolution russe et la guerre civile.


[1V. V. Roudnev, La Makhnovtchina, Kharkov, 1928, p. p. 90-91.

[2Les Cent-Noirs ou Centurie noire (en russe : Чёрная сотня, Черносо́тенцы) sont un mouvement nationaliste et monarchiste d’extrême-droite apparu dans l’Empire russe pendant la révolution de 1905. (Source : Wikipédia)

[3E. Goldman, L’Anarchisme, Moscou, 1921, p. 7.

[4CGACR Département de police, fond 102, registre 600 pour l’année I904, feuillet 156.