Nous savons qu’il existe contre nous, anarchistes, de grossiers préjugés et de profondes aversions. Mais nous savons aussi qu’ils dérivent, plus que tout autre chose, du fait que ceux qui nous détestent ignorent nos idées et ne savent pas ce que nous voulons.
Même en dehors des ennemis du progrès social qui, naturellement, sont contre nous parce que, dans la lutte sociale, nous nous situons de l’autre côté de la barricade, beaucoup de gens peuvent être étonnés d’apprendre que, parmi les nombreux partis et mouvements agissant dans la vie politique, les anarchistes aussi, prétendent avoir du poids et compter pour une force, même si leur nombre n’est pas grand et ne devait l’être jamais.
Pourtant, nous ne sommes pas nés d’hier. Notre acte de naissance officiel comme mouvement remonte à 1872, à la Déclaration de Saint-Imier, mais, déjà bien avant, s’était constitué en France, en Suisse et en Espagne l’Alliance Internationale des Travailleurs, qui avait pour guide et inspirateur Michel Bakounine. En Italie, c’est à Naples que les premières sections et fédérations furent créées. Mazzini était dépassé et l’ardeur combative de Garibaldi semblait désormais du gaspillage. Les idées socialistes commençaient à s’affirmer et par l’œuvre animatrice de Bakounine, de Cafiero, de Malatesta, et ensuite de Costa, de Fanelli et d’autres, le mouvement accouplait de plus en plus ces deux revendications inséparables : le socialisme et la liberté.
L’Alliance Internationale des Travailleurs tenta de fusionner, par un évident effort d’unité conçu par Bakounine lui-même, avec la Première Internationale fondée à Londres pour Marx. Mais ce mariage ne pouvait durer longtemps, soit à cause des tendances autoritaires et centralisatrices de Marx, soit parce que dans l’Internationale on apercevait déjà cette tendance légalitaire qui enlevait aux groupes et aux sociétés adhérentes leur esprit combatif. Les groupes mêmes qui, à l’origine, avaient formé l’AIT, se détachèrent, en fait, et à Saint-Imier, en 1872, comme nous l’avons déjà dit, donnèrent officiellement vie à un mouvement qui, pour se distinguer des marxistes, se définit anarchiste tout en affirmant intégralement ses directives primitives. L’histoire de notre mouvement s’identifie donc avec celle du socialisme, dans ses origines en Italie. Mais ce n’est pas ici le lieu des longues expositions historiques.
Il suffit de dire que des géants comme Bakounine ; comme Malatesta, sans s’imposer, en s’efforçant même de toujours exprimer la volonté des multitudes, influencèrent profondément, par leur intelligence et leur activité, toutes les sociétés ouvrières de l’époque, jetant ainsi les fondements des mouvements anarchistes qui, encore aujourd’hui, luttent en Espagne, en Italie, en France, en Suède, en Suisse et dans d’autres pays, suivant la même ligne idéale.
Nous renonçons donc à exposer l’histoire de notre mouvement. Et nous renonçons également à développer un programme. Les programmes, nous savons ce qu’ils valent. Chacun a la prétention de posséder le meilleur, celui qui renferme la formule magique qui portera enfin remède aux maux sociaux qui nous affligent. Mais en pratique les programmes comptent pour peu de chose. A peine lancés, ils sont oubliés, tel est leur sort, même s’il en dérive de graves désillusions pour ceux qui y avaient ajouté foi.
Ce qui importe c’est l’action actuelle. Comprendre quelle attitude il faut avoir en face des conditions présentes, et quelles revendications peuvent s’y insérer pour arriver à des conquêtes réelles. Pour cela, nous nous proposons d’exposer ici, dans une forme très simple, ce que les anarchistes veulent et comment ils entendent agir.