Depuis quelques années se développe au sein du mouvement libertaire une discussion serrée sur le syndicalisme tendant à indiquer une identité toujours plus retrouvée des anarchistes dans le mouvement des exploités : en eux, parmi eux, avec eux les idées libertaires sont nées et au-delà de leur réalité l’anarchisme meurt ou se réduit (pour parler comme les anarcho-syndicalistes de l’USI) à une pure philosophie, patrimoine de quelque élite intellectuelle.
Cette recherche sur l’Union Syndicale Italienne s’insère dans ce débat, pour donner des éléments de connaissance à tous les camarades, et surtout à ceux qui se sont approchés ces derniers temps des idées libertaires. Ceux-ci doivent connaître le patrimoine historique et théorique de l’anarcho-syndicalisme et du syndicalisme révolutionnaire. Habituellement on ne se rappelle de l’USI que par des aspects qui apparaissent de temps à autre dans la presse anarchiste ou spécialisée : que ce fut un grand mouvement de masse d’un demi-million d’adhérents, qui a eu une pratique libertaire, que l’anarchiste Armando Borghi en a été secrétaire, qu’il n’y avait pas en son sein de bureaucrates rétribués et enfin qui s’est épuisé comme un mouvement n’ayant pas eu (après une vingtaine d’années passées entre la relégation et l’exil) la force de renaître en 1945.
Dans cette brochure nous ne parlons pas des grands moments qui font désormais partie du domaine de l’histoire, et dans lesquels l’USI participa ou en fut la promotrice comme l’occupation des usines et les deux années rouges de 1919-1920, la « Semaine Rouge » et la conquête des six heures dans la région de Carrare, tous des moments appartenant au mouvement anarchiste et anarcho-syndicaliste ; nous n’en parlons pas parce que ce sont des informations qui apparaissent dans la presse libertaire et que bien ou mal chacun connaît. Au contraire, nous parlons de l’« histoire » de l’USI (à partir de sa première consolidation en tant que minorité organisée à l’intérieur de la Confederazione Generale del Lavoro (CGL), des conceptions différentes de l’autonomie que la future USI aurait eu par rapport à la Confédération, de la rupture entre les syndicalistes révolutionnaires et l’organisation réformiste en 1919. Nous touchons ensuite tous les moments les plus importants de sa vie, ses luttes, ses assemblées conçues comme des points d’arrivée de ce qui avait été fait et comme des points de départ d’une nouvelle force, de nouvelles idées, de nouvelles pratiques expérimentées quotidiennement dans les réalités particulières. Nous parlons des conceptions différentes au sein même de l’USI, des positions déviationnistes de quelques-uns de ses leaders, de De Vittorio qui finira secrétaire de la CGIL à partir de 1943, de l’unité syndicale, de l’antimilitarisme, de l’unité à la base, des projets inachevés à cause de la répression fasciste (pour la seule année 1922 environ 300 camarades sont assassinés par les bandes de chemises noires), de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) et du débat s’il fallait adhérer ou non à l’internationale syndicale rouge (liée à Moscou).
En 1922 se conclut la première phase de l’existence de l’USI, d’un mouvement réellement de masse, libertaire, autogestionnaire ; puis viendra la période obscure de l’exil, de la clandestinité, de la relégation.
Encore deux mots : les sources de la première partie de cette recherche ont été prises dans la très claire Brève Histoire de l’USI d’Ugo Fedeli ; la difficulté de trouver cet écrit [1] nous a paru justifié son insertion dans cette brochure, avec d’autres sources d’une époque plus récente ; de cette façon nous disposons de presque tous les éléments de l’expérience de l’USI de 1912 à 1970. Si la première partie n’a pas comporté de notables difficultés de recherche, nous ne pouvons en dire de même avec la seconde (1945-1970) pour la simple raison que toute l’historiographie anarchiste et anarcho-syndicaliste s’arrête immanquablement en 1922. Il n’existe pas un seul document, exception faite pour le livre de Borghi Deux ans d’activité anarchiste qui décrit minutieusement la réalité anarchiste italienne de 1945 à 1947 et de quelques articles du camarade Umberto Marzocchi, déjà membre du Comité directeur de la CGIL à l’après-guerre, articles particulièrement significatifs, pour comprendre les motifs du choix unitaire des anarchistes en 1945 ; il n’existe donc pas de documents qui ébauchent une analyse ou simplement exprime un débat survenu depuis 45 et même au cours de la période de la clandestinité. A notre avis, c’est une lacune et rien d’autre pour donner des éléments de débat à tous les camarades qui sont quotidiennement engagés dans la perspective de la révolution sociale. Il est certain que l’expérience de l’USI de l’après-guerre n’est pas la même que celle acquise jusqu’en 1922. Personne ne peut le nier. Comme on ne pourra nier le caractère du débat qui eut lieu dans les années 50 à 60 et qui reste le même débat que nos camarades avaient affronté au début du siècle dans le cadre de la construction de l’organisation syndicale : anarchisme, syndicalisme ou anarcho-syndicalisme ? Déviationnisme à cause de la présence de militants ouvriers non anarchistes.? Mouvement typiquement anarcho-syndicaliste ou comprenant des secteurs marxistes révolutionnaires ? Anarcho-syndicalisme ou syndicat des anarchistes ?
Une fois de plus le mouvement doit être entièrement clair sur ce problème, abandonnant des préventions, un certain sectarisme, des « purismes » qui sont une fin en soi, pour avancer avec une incidence toujours plus grande. Il faut comprendre qu’aujourd’hui se présentent réellement des possibilités concrètes pour une pratique anarcho-syndicaliste dans les masses exploitées ; toute une série de symptômes le prouve : les luttes des hospitaliers, des cheminots, les comités qui s’organisent à la base, les collectifs qui abandonnent le sentier battu du syndicalisme d’État, les jeunes, les chômeurs, les « non garantis », le mouvement des femmes..., ce sont tous des symptômes qui abondent dans le sens de la construction d’un vaste front d’opposition politique, économique et social aux forces de l’État et de la conservation qui doivent absolument chasser toutes les illusions parlementaires, centralistes, avant-gardistes, si l’on veut réellement sortir vainqueur de cette phase de l’affrontement de classes. En cela la méthode et la théorie anarcho-syndicaliste peuvent offrir une contribution fondamentale pour l’avancée du front de lutte. Pour les militants anarcho-syndicalistes c’est une raison de plus pour s’engager beaucoup plus dans la construction d’un mouvement libertaire de masse qui ait dans les usines, les entreprises, les bureaux, les quartiers et les écoles ses lieux d’agrégation et d’organisation.
Noyaux libertaires
d’usines et d’entreprises de Milan.