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V - La Commune hongroise et les anarchistes (1919) : Les transports

mercredi 4 septembre 2019, par Achille Dauphin-Meunier (autre)

Eugène Landler, dans son adolescence, séduit par l’idéologie révolutionnaire, adhéra au parti socialiste. Secrétaire général du syndicat des cheminots, il possédait une telle influence parmi les ouvriers que Tisza lui-même, l’impitoyable réactionnaire, le craignait. Réfugié à Vienne en août 1919, il organisa dans la capitale de l’Autriche le parti communiste illégal hongrois.

Durant la Commune, les transports furent administrés par ses soins. En 1913, la Hongrie possédait 96 127 kilomètres de routes publiques. Le réseau ne s’agrandit pas au cours des hostilités ; mais les chemins n’étant pas pavés, certaines voies provinciales ou communales se trouvaient en 1918 absolument impraticables. Jadis, les révolutions s’étendaient par les routes nationales unissant les centres politiques et se ramifiaient par les chemins vicinaux. Ainsi s’expliquait, par exemple, l’explosion de contre-révolutions dans les contrées dépourvues de communications aisées et soumises encore, de ce fait, aux manœuvres des propriétaires locaux.

Aujourd’hui — l’expérience des trains du propagandiste Lounartscharsky le démontra — les bouleversements sociaux se développent au long des voies ferrées. Aussi les communistes hongrois organisèrent-ils avec soin le réseau ferroviaire.

Le premier réseau ouvert à la circulation atteignait en 1846 trente-cinq kilomètres de longueur. En 1918, l’ensemble des lignes dépassait 21 798 kilomètres dont 13 601 kilomètres, soit 62,4 %, appartenaient à des compagnies privées.

Après avoir exproprié les propriétaires, Landler devait choisir entre l’étatisation ou l’individualisation des réseaux.

En nationalisant les chemins de fer il aurait confié leur gestion à une administration centrale. Or, cette gestion peut s’effectuer selon un rythme différent, par la concession ou la régie. L’État qui abandonne à des entrepreneurs particuliers la direction des réseaux conserve la propriété nominale des voies et moyens de transport. Il obtient, en outre, sans risque, une part des bénéfices de l’entreprise. Par contre, le concessionnaire est un capitaliste. Il reste, en fait, seul maître du réseau, et un maître d’autant plus fort que l’État se tient derrière lui. Il résiste même avec plus d’efficacité que l’État aux réclamations du public, car un gouvernement dépend de l’opinion générale ; les individus qui le composent ne peuvent mépriser avec trop d’impudence les exigences de ceux qui les mandatent sans redouter un échec aux élections prochaines. Un particulier sauvegardant ses propres intérêts, ne dépendant que de lui-même, acquiert d‘énergiques moyens pour résister aux Comités de défense d’usagers qui se dressent contre lui. Sa ténacité dépend de son avarice et de sa volonté. Or, celles-ci n’ont d’autres limites que la fermeté des usagers coalisés. Et les concessionnaires perçoivent directement dans leur unique intérêt les deniers du public pressé par la nécessité quotidienne.

Pour ces motifs, les concessions sont inadmissibles dans un régime communiste. Elles ne se réalisent d’ailleurs pas, car le capitalisme indigène et privé se trouve anéanti. Et lorsqu‘un État prolétarien abandonne aux capitalistes étrangers des portions du domaine collectif, aliène certaines libertés au profit d’une fortune exotique, il ne mérite plus l’épithète de « communiste » qu’il continue parfois à s’attribuer sur les papiers officiels.

Dans une société bolcheviste ou socialiste, maintenant la puissance économique de l’État, ce dernier administre lui-même les réseaux ferroviaires et assure les transports. Cette régie offre au gouvernement l’avantage de lui permettre de régler l’activité du pays en interdisant à certains individus d’user des moyens de locomotion ou en suspendant le trafic. Mais la régie est un mode inférieur d’exploitation. Les autorités administratives, les fonctionnaires, tendent à dominer les compétences techniques, les cheminots. La bureaucratie étouffe l’initiative des employés et les réclamations des voyageurs. L’expérience des bolchevistes russes fut probante à cet égard. Krassine reconnut que l’administration actuelle des chemins de fer amena les transports à un état de complète ruine qui s’approche de l’arrêt définitif de toutes les voies de communication. Et il conclut : L’Administration collective, en réalité irresponsable, doit faire place au principe d’administration individuelle entraînant une plus grande responsabilité.

Au lieu d’étatiser les moyens de transport, certains proposent de les individualiser, en donnant l’autonomie aux organismes chargés de leur gestion. Cette tendance aboutit dans le monde capitaliste, à l‘établissement de multiples compagnies indépendantes dont on célèbre le bon fonctionnement des machines, la rapidité des locomotives, la modicité des tarifs. Malheureusement, on ne remarque pas assez que ces avantages proviennent directement de la concurrence que se font ces entreprises. Pour éviter ou réduire au minimum les inconvénients qu’elles ressentent de cette rivalité, les compagnies tentent de constituer des trusts, de fusionner, d’établir à leur profit un monopole. Ainsi, la concentration se réalise au détriment des usagers.

Les anarchistes préconisent la reconnaissance des moyens de transport comme propriété publique et non d’État. Les lignes seraient dirigées sous le contrôle technique du syndicat des cheminots et sous le contrôle administratif des employés et voyageurs. Comme une exacte discipline s’impose dans les chemins de fer où le moindre retard et la plus infime erreur entraînent de redoutables conséquences, elle serait établie, selon les cas particuliers, par les conseils locaux de district ou d’embranchement et les conseils de réseau élus par l’ensemble des travailleurs.

Les usagers réunis en Comités nommeraient des représentants au Conseil du réseau placé sous la tutelle du syndicat des cheminots. Ce conseil serait composé de délégués du public, du personnel, du syndicat et du Conseil Economique National. De la sorte, l’intérêt général se formerait réellement du concours des intérêts particuliers. L’omnipotence bureaucratique de l’État n’étoufferait pas l’initiative individuelle. Les moyens de transports seraient à la disposition de chacun pour l’utilité de tous.

Entre l’étatisation socialiste et l’individualisation libertaire des réseaux, Landler hésita. Il se résolut à une solution mixte Les chemins de fer passèrent sous l’autorité nominale de l’État ; mais on laissa jouer un rôle notable aux Conseils. Les 13 601 kilomètres appartenant à des compagnies privées revinrent à la nation et furent gérés par le commissariat des transports. En fait, le Conseil d’Exploitation composé de représentants du syndicat des cheminots administra seul les lignes, sous le contrôle du syndicat et leur responsabilité commune. Dans chaque gare ou centre régularisateur, le personnel désigna le conseil de discipline et d’exploitation local, placé sous la tutelle technique du Conseil syndical d’Exploitation. Les employés des réseaux les gérèrent à leur gré, sans tenir compte des décisions prises par les fonctionnaires du Commissariat. Les chemins de fer confiés à la diligence du syndicat furent donc partiellement individualisés.

La puissance des conseils d’exploitations ferroviaires atteignit même un degré tel que Landler ne put appliquer les mesures destinées à supprimer le trafic par havresac. Le troc des vêtements ou des meubles fournis par les offices contre des produits de la terre s’effectuait en effet par chemins de fer. Les tarifs n’avaient pas suivi la hausse des salaires ; et les voyages coûtaient peu. Pour empêcher le transport par havresac et rétablir l’équilibre de la répartition, Landler voulut interdire quelque temps l’accès des voitures aux voyageurs ne remplissant pas de fonction publique. Seul, le charroi des vivres destinés aux offices d’approvisionnement aurait été permis. Cette décision d’un usage aisé pour un gouvernement administrant ses réseaux en régie ne put être appliquée. Landier devant l’hostilité des cheminots et de leur syndicat, sentit que l’État n’était pas le véritable maître des lignes et modifia son projet.

En 1919, les recettes des chemins de fer atteignirent 71 300 000 couronnes en billets blancs ; les dépenses dépassèrent 667 000 000 kcs. Mais à ce déficit, motivé surtout par la dévalorisation du numéraire, ne correspondit pas une désorganisation du trafic. Les voitures furent soigneusement entretenues au contraire et les horaires de trains disposés de façon à satisfaire les usagers. L’activité ferroviaire ne diminua point.

 


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