La Hongrie, livrée définitivement à la merci des envahisseurs français, tchèques, serbes et roumains, terrorisée par les bandes d’Horthy, subit alors des outrages tels qu’ils dépassèrent en horreur ceux que supporta le Nord de la France ou la Prusse orientale.
Après la prise d’Arad, les alliés y installèrent un gouvernement réactionnaire dont ils attribuèrent la présidence au baron Jules Bornemissa et au docteur Gratz. Lorsqu’ils eurent pénétré en Hongrie, ils transférèrent le siège de cette simiesque administration à Szeged. Assise sur la rive droite de la Tisza, prés de l’embouchure du Maro, Szeged se présente comme une importante cité commerciale et industrielle. Les communistes qui y avaient organisé des syndicats, des conseils économiques régionaux, la défendirent avec acharnement contre les assauts des alliés. Forcés de se replier vers Budapest, ils effectuèrent leur retraite en désordre, abandonnant de nombreux prisonniers. La répression, sur l’ordre formel de Franchet d’Esperey, fut atroce. Les Français, sans jugement et violant les règles essentielles de la justice internationale, déportèrent au Maroc et en Algérie, plus de six cents miliciens hongrois. Ils ne les relâchèrent qu’en 1921.
Andorka Kovacs, membre du Conseil local de Szeged, et cinq autres de ses amis, saisis par nos troupes, furent traînés de Szeged à Sofia, de Sofia à Salonique, où le Tribunal militaire français les condamna aux travaux forcés perpétuels. Transportés en France, où le bolcheviste Marty les rencontra, ils furent dirigés, en 1920, sur la Guyane. Les membres des conseils d’exploitation, des offices locaux se virent livrés aux réactionnaires qui les condamnèrent aux travaux publics ou à la réclusion. Lorsque les franco-roumains pénétrèrent à Budapest, ils fusillèrent ou pendirent sans jugement plusieurs milliers d’ouvriers et de maraîchers, pris les armes à la main, ou dénoncés par leurs voisins.
A Kecskemet, deux cents civils, hommes, femmes et enfants, qui ne se dispersèrent pas au commandement d’un major, furent mitraillés dans la rue. Un reporter socialiste, Bêla Somogyi relata ce crime. Des officiers l’enlevèrent en plein jour, lui coupèrent les oreilles et le nez, lui crevèrent les yeux et le jetèrent dans le Danube.
Les bandes d’Horthy torturèrent les « gars de Lénine », les auxiliaires de Szamuely, les parents des commissaires du peuple, qui tombèrent entre leurs mains. Après avoir châtré Corvin, ils le pendirent. Ils s’emparèrent de Mme Hamburger, femme du commissaire-substitut de l’agriculture, l’étendirent nue sur un fourneau chauffé, puis, la violèrent avec des manches à balai. Mme Wiesner, épouse d’un membre du Soviet de Segszard, refusa d’indiquer la retraite de son mari. Pour lui arracher des aveux, un blanc du nom de Kiss Goza la coucha sur le sol et piétina le ventre de la malheureuse qui se trouvait enceinte de sept mois.
La terreur s’étendit implacable. Dans les camps de concentration entourés de fils de fer barbelés, ravitaillés deux fois par semaine, trente mille captifs s’entassèrent bientôt. On évalua le nombre des pendus et fusillés à neuf mille personnes. Le parti communiste, le cercle galiléen, l’Union anarchiste de l’Hôtel Almassy se virent considérés comme des mouvements illégaux. Leurs membres furent passibles de la réclusion pour délit d’opinions et outrages aux lois. Les socialistes se groupèrent autour du Nepszava. On les pourchassa. Quelques amis de Michel Karolyi, en s’affirmant antibolchevistes, pensèrent se concilier les faveurs des terroristes blancs. Emeric Ver, le leader républicain, fut incarcéré et privé pendant dix années, de ses droits civils.
Désireux de sauver Otto Corvin et les libertaires incarcérés avec lui, trois anarchistes réfugiés à Vienne, Stassny, Feldmar et Mauthner tentèrent de s’aboucher avec leurs camarades demeurés libres à Budapest, pour organiser l’évasion. Ils revinrent en Hongrie ; mais un de leurs acolytes, Csuvara, ancien secrétaire de Bela Kun, les vendit à la police, qui s’empara d’eux. Marcel Feldmar, étudiant en médecine, mourut en 1920 dans son cachot, des suites de coups infligés par les sbires. Le professeur Stassny fut pendu ; Mauthner savait que sa tête avait été mise à prix, car il dirigeait pendant la Commune, une batterie de canons à longue portée. Capturé le 15 décembre 1919, Il fut condamné à mort le 18 avril 1920, sous l’inculpation d’assassinats au cours d’une insurrection et d’attentat contre la sûreté de l’État. On commua sa peine en celle du bagne. Mauthner parvint à s’évader de geôle, le 21 juin 1921, et par la Tchécoslovaquie et la Bavière, atteignit la France. Ses amis budapestois, les frères Rabinovich et le jeune Szamuely furent égorgés ou pendus. Les rescapés du putsch poignardèrent le traître Csuvara.
L’agitation révolutionnaire éteinte, les réactionnaires s’efforcèrent de restaurer l’ancien régime. Joseph de Habsbourg, se rappelant que le roi Charles l’avait nommé, le 30 octobre 1918, homo régius, constitua un cabinet, sous 1a présidence de Stefan Friedrich. Les membres du gouvernement formé à Szeged, par les Français, reconnurent l’autorité du prince et l’un d’eux, Teleki, entra dans le Conseil des ministres. Le 23 août, par suite de l’hostilité des Anglais à son égard, Joseph de Habsbourg, démissionna. Le 24 novembre, Friedrich remit ses fonctions à Charles Huszar, qui forma un cabinet de concentration et convoqua l’Assemblée nationale.
Le 1er mars 1920, cette assemblée, formée de militaires, de prêtres, de seigneurs fonciers, d’industriels, rétablit officiellement la royauté et proclama l’amiral Horthy, régent du pays en l’absence du souverain. Toute réaction politique se complique d’une spoliation économique. Les propriétaires revenus de leur émoi ravirent les biens des concurrents malheureux et des victimes. Les États asservis abandonnèrent aux oppresseurs les sources de leur richesse. Horthy confisqua les bijoux, les champs, les maisons de Karolyi, et son exemple incita la noblesse et la bourgeoisie magyares à se ruer sur les trésors de leurs ennemis personnels. Les dénonciations se multiplièrent ; les fortunes des condamnés revinrent à leurs accusateurs.
La Tchécoslovaquie s’empara de 63 004 kilomètres carrés habités par une population de trois millions d’âmes ; les Roumains saisirent 102 181 kilomètres carrés contenant 5 236 000 hommes ; la Serbie s’annexa 63 572 kilomètres carrés avec 4 151 000 habitants. Le traité de Trianon, le 4 juin 1920, légitima ces rapts.
On arracha donc à la Hongrie 71,8 % de son territoire et 63,6 % de ses nationaux. Cet État perdit 54,3 % de ses champs de blé, 37,1 % de ses terres à seigle, 87 % de ses forêts, 65 % de ses terres à maïs, 52,7 % de ses terres à orge.
Les capitalistes serbes, pour briser définitivement la concurrence hongroise, volèrent 2 439 066 têtes de bétail, dont 1 047 099 porcs. Leur cheptel doubla. Ils firent ensuite insérer dans le traité de paix, une clause économique spécifiant que la Hongrie ne peut soumettre les produits naturels de l’un des États alliés « importés sur le territoire hongrois, quel que soit l’endroit d’où ils arrivent, à des droits ou charges, y compris les impôts intérieurs, autres ou plus élevés que ceux auxquels sont soumis les mêmes marchandises, produits naturels ou fabriqués d’un autre quelconque desdits États ou d’un autre pays étranger quelconque. » Imitant les yougoslaves, les roumains et les tchèques prirent respectivement 7 321 362 et 3 239 164 têtes de bétail, dont près de cinq millions de moutons. De sorte qu’aujourd’hui, les Roumains possèdent 1,2 tête de bétail par arpent et 246 par cent paysans, alors que les Hongrois n’ont qu’une tête pour 85 arpents. Après, s’être emparés des richesses agricoles, les alliés ravirent le matériel et les fabriques industriels, 58,3 % des gisements de fer revinrent aux Tchèques et 25 % aux Roumains. Occupant 13 % de ses forêts, les envahisseurs ne laissèrent à la Hongrie que 51 scieries sur 444. Les magyars ne conservèrent après la Commune, que 44 % des raffineries, 70 % des fonderies, 35 % des briqueteries, 80 % des usines de chaux, 0,1 % des fabriques de superphosphate, et 37 % du réseau ferroviaire. La Hongrie possédait, en 1919, du silicate naturel de magnésium et une entreprise de transformation de magnésite. Elle perdit encore ces biens.
Dans ce pays ruiné, pressuré, la famine s’installa. En 1920, il y eut un déficit de froment, seigle et orge de 3 635 000 quintaux. On ne récolta que 12 740 000 quintaux de mars, alors qu’une production de 20 millions de quintaux pouvait seule suffire aux exigences des consommateurs. On ne fournit que 40 % du sucre nécessaire.
Pour éviter la disette, la population ouvrière et paysanne émigra. On estime qu’aujourd’hui, plus de deux millions de sujets magyars résident à l’étranger, principalement en Autriche, aux États-Unis d’Amérique et en France. L’afflux des émigrants atteignit, à Vienne, une telle intensité, au cours de 1921, que les commerçants durent apprendre les rudiments de la langue hongroise. En 1925, on dénombrait trente mille magyars domiciliés en France, possédant des associations politiques, des journaux et des revues.
Et la terreur blanche qui occasionna la disette aggrave cet exode. La répression, six années après la Commune, continue son œuvre. Les social-libertaires réunis autour d’Etienne Vagi sont incarcérés ; leur association est considérée comme illégale ; on interdit la publication de leurs périodiques et de leurs tracts ; les socialistes et les démocrates qui s’efforcent de voiler les stupres du régime voient leurs députés chassés à coups de crosse du Parlement. Les bolchevistes, partisans d’un capitalisme d’État, se sont donné un programme et fixé, d’après les directives de Moscou, une idéologie nettement opposée aux directives de la Commune. Persécutés, ils ne représentent aucune force dans le mouvement révolutionnaire ou l’activité politique de la Hongrie subjuguée.
Par contre, les honneurs royaux sont rendus au régent Horthy et aux divers archiducs Habsbourg ; et en avril 1925, le président du Conseil des Ministres, le comte Bethlen déposa sur le bureau de la Chambre des représentants, un projet de loi stipulant que les membres mâles de la famille royale résidant on Hongrie seraient nommés de droit membres du Sénat.