La première tâche du régime communiste consiste à monopoliser les objets de consommation, afin de se trouver en mesure de satisfaire, dans le plus bref délai, les exigences du prolétariat.
Une tendance à supprimer le commerce privé se manifeste déjà dans notre société par la fondation de coopératives d’approvisionnement gérées par les consommateurs à leur profit ou par l’institution, de comptoirs administrés par les producteurs capitalistes.
Après avoir mis en contact immédiat fabricants et usagers, la Commune, par l’expropriation, fait passer dans le patrimoine collectif, les richesses précédemment détenues par des particuliers. La tâche de répartir ces biens incombe alors aux organismes qui, restant sous le contrôle direct de la Société, sont à même de connaître et de contenter les moindres besoins de chacun : les offices coopératifs.
La suppression radicale des transactions privées est une mesure indispensable si l’on veut éviter le gaspillage des denrées, ou leur accaparement par la bourgeoisie, grâce à la force acquisitive du numéraire ou des valeurs qu’elle détient encore.
Un ancien administrateur d’une coopérative socialiste de consommation, Maurice Erdelyi, tenta d’organiser, durant la Commune, en qualité de commissaire, la répartition des produits. Sa première mesure consista dans la communalisation des magasins de gros ou de détail occupant, au 21 mars, plus de dix personnes. Ces établissements furent dès lors dirigés, sous le contrôle du commissariat de la production, par des gérants nommés par le personnel.
Puis on effectua l’inventaire des stocks de matières entreposées. L’opération dura deux semaines, pendant lesquelles toutes les boutiques, à l’exception des épiceries coopératives, durent fermer leurs portes. Il fallut enfin distribuer méthodiquement les produits sur des bases communales et concentrer le commerce.
A Budapest, se trouvait une importante coopérative de consommation possédant environ deux cents bureaux répartis dans les divers quartiers. Elle était désignée naturellement pour assurer la distribution. Mais en province, le mouvement coopératif n’avait jamais pris d’extension et ne disposait pas d’organisme commercial de quelque intérêt.
Erdelyi et ses collaborateurs se virent ainsi contraints d’instituer rapidement un service d’approvisionnement assez concentré pour réduire au minimum les faux-frais et assez décentralisé pour satisfaire dans les endroits les plus reculés, la diversité des besoins. Dans chaque centre, ils s’efforcèrent d’établir un magasin communal abondamment pourvu et doté du monopole du commerce dons un rayon déterminé par les intéressés. Les offices d’approvisionnement fonctionnèrent vite. On rencontrait des offices de matières fournissant aux usines les produits bruts ou mi-ouvrés. Des offices du vêtement, du meuble, des légumes maraîchers étaient organisés sur le modèle de nos entreprises à succursales multiples.
Une difficulté surgit bientôt : certains offices, par suite de la pénurie de matières, principalement les offices de vivres, ne pouvaient entièrement contenter les demandes. On recourut donc au rationnement, comme on l’avait fait pendant la guerre, mais avec une plus minutieuse rigueur. On servit d’abord les vieillards, les femmes enceintes et les malades ; puis les femmes et enfants des soldats engagés sur le front, sur présentation d’un certificat attestant leur qualité ; enfin, es miliciens et les ouvriers syndiqués.
Toute la population valide s‘étant groupée dans les syndicats, les consommateurs furent alors, répartis en cinq classes selon leur vigueur physique, leur âge, leurs connaissances, leurs aptitudes et leurs besoins.
Cependant, parallèlement aux offices d’approvisionnement, une autre organisation s’établit. Durant les hostilités et la République, dans chaque usine comme dans chaque bureau, les travailleurs avaient fondé des sociétés amicales d’achat en commun. Après le 21 mars, ces associations se transformèrent en comités de distribution. Le Conseil d’atelier ou de bureau chargeait des hommes de confiance de recevoir des organismes compétents des quantités de marchandises, principalement d’anciens stocks militaires, qu’il répartissait entre les employés, sans débours de numéraire. Les métallurgistes de Csepel recevaient ainsi par semaine, pour leur famille et eux, une oie et des légumes. En outre, sous l’instigation de Varga, on créa dans les établissements importants des restaurants coopératifs où les ouvriers étaient gratuitement nourris.
Les villes furent, pendant le régime communiste, abondamment pourvues de pommes de terre, de choux, de courges et de cachats. Les distributions de viande avaient lieu deux fois par semaine. Pour un syndiqué, il était si facile d’obtenir des vêtements qu’un trafic condamnable s’effectua : afin d’avoir certaines denrées de choix qu’on ne pouvait acquérir aisément des offices, sinon pour les malades (œufs frais, saindoux...), des ouvriers demandaient un ou deux costumes par quinzaine qu’ils recédaient en cachette aux paysans fournisseurs des offices. Ceux-ci, retirant d’un tel négoce un avantage considérable n’approvisionnèrent plus régulièrement les centres communaux. Il en résulta un malaise dans la répartition dont l’équilibre se rompit. Les vieillards, les débiles ne purent être alimentés convenablement à leur état ; les anciens journaliers et domestiques, soutiens du régime dans les campagnes, se virent désavantagés au profit des dirigeants des syndicats agricoles, chargés de la garde des denrées de la communauté dont ils usaient indûment à leur seul profit.
L’avis n° 15, publié par le commissariat de la prévoyance sociale réglementa la communalisation des habitations. Chaque maison élit son Conseil d’exploitation et nomma un homme de confiance. Celui-ci, aidé de volontaires, entreprit localement l’inventaire des appartements vacants ou incomplètement utilisés. Les locataires n’eurent droit qu’à une chambre par adulte, les logements disponibles furent immédiatement attribués aux indigents. Trois cent mille ouvriers changèrent de domicile ou vinrent occuper les anciennes demeures des bourgeois. En outre, on décida que les loyers seraient recouvrés par l’homme de confiance, encaissés pour compte du Conseil d’exploitation, et versés au fisc de la Commune. Mais la perception des loyers fut sans cesse reculée. Et la politique monétaire des communistes rendit entièrement vaine cette résolution qui n’avait été prise que pour apaiser les éléments démocrates des Conseils.
Après avoir assuré, dans une large mesure, le pain et le logis aux travailleurs, le régime communiste prétendit satisfaire les besoins de luxe. Un Conseil de la production littéraire et de l’instruction publique se constitua. Alexandre Szabados, Sigisznond Kunfi, Georges Lukacs et Tibor Szamuely le composèrent. Par la suite, Szamuely quitta le Conseil pour jouer ce rôle de terroriste qui le plaça dans le domaine de la légende.
Szabados était un journaliste talentueux doublé d’un marxiste intransigeant. Les blancs le condamnèrent aux travaux forcés à perpétuité. Il fut échangé en 1920, contre des officiers hongrois, prisonniers des Russes.
Georges Lukacs, fils d’un banquier Pestois, passe pour un remarquable esthéticien. Membre correspondant de l’Institut de Leipzig, il obtint, avant la guerre, de l’académie hongroise, un prix pour son ouvrage sur l’Evolution du Drame Moderne. Individualiste, il se tint longtemps à l’écart du mouvement révolutionnaire. Mais en 1917 et 1918, il encouragea l’activité des antimilitaristes et sous le gouvernement démocrate, adhéra au parti communiste naissant. D’une sveltesse rare, la voussure des épaules ployant sous le faix de la tête, les cheveux fin rejetés en arrière du front, des yeux myopes, la mise correcte d’un petit fonctionnaire retraité, Lukacs, durant la Commune, parcourut sans trêve usines, campagnes, tranchées, vantant les beautés du régime. Arrêté par les réactionnaires en août 1919, jugé et condamné à la peine maxima, il fut sauvé grâce à l’énergique pression des universitaires anglo-américains, sur les autorités magyares.
Le docteur Kunfi professait à l’Ecole de Commerce, quand Apponyi le révoqua, en 1909, pour son ouvrage Le Crime de notre Instruction Publique. Il fit alors partie de la rédaction du Nepszava, puis fonda, une revue, Le Socialisme. Il représentait le parti socialiste hongrois à la Conférence internationale de Berne. Pendant la Commune, il dirigea le commissariat de l’instruction publique. Kunfi et ses amis, pour accroître, avec leur capacité intellectuelle, la puissance de production et les appétits de puissance des ouvriers, envisagèrent de transformer les conditions de l’hygiène sociale et de rénover l’éducation.
Le deuxième décret promulgué par les commissaires interdit l’ouverture de débits de boissons, sous peine d’une amende de 50 000 couronnes. La consommation de l’alcool fut défendue, et les délinquants, passibles d’un emprisonnement d’un mois. Tibor Szamuely prit personnellement l’initiative d’effectuer le recensement des salles de bains municipales et privées. Il invita les enfants à se laver le corps entier une fois par jour, dans les baignoires communalisées. Les hommes de confiance de la maison et les pédagogues veillèrent strictement à l’exécution de ces prescriptions.
Dans des cinémas spéciaux, obligatoirement, les jeunes gens des deux sexes âgés de treize ans, contemplaient le déroulement des maladies vénériennes que commentaient les médecins. Les moyens de se préserver du fléau étaient énoncés ; et ces visions impressionnaient tant les spectateurs, qu’on constata vite un raffinement de propreté dans la toilette intime et les mœurs.
Dès quatorze ans pour les femmes, seize ans pour les hommes, sans requérir le consentement paternel, après examen médical, les individus pouvaient s’unir. On n’exigeait d’autres formalités que l’inscription des noms et qualités sur le registre de la Commune. Le divorce, devenu unilatéral, s’effectuait dans les 24 heures. L’Union libre fut de la sorte instaurée. Les malades, les tarés devaient être obligatoirement stérilisés. L’avortement était autorisé, pourvu qu’il eut lieu dans les hôpitaux, afin d’appliquer scrupuleusement les ordonnances de l’hygiène et réduire les souffrances des sujets. Les enfants dont les parents ne voulaient ou ne pouvaient assumer la charge étaient confiés à des crèches communistes.
On modifia totalement l’enseignement scolaire. Les Facultés de Jurisprudence et de Théologie furent closes. Les livres d’instruction religieuse et d’histoire politique brûlés. L’enseignement de la biologie remplaça celui du catéchisme. Durant quatre semaines, les professeurs suivirent des cours spéciaux dans lesquels on leur exposa succinctement l’idéologie communiste. On s’efforça surtout d’inculquer aux enfants le goût du travail manuel autant que celui du labeur intellectuel. Un exeat délivré après un certain temps d’études suppléa les examens et concours jugés inutiles. Les élèves nommèrent un Conseil de classe, chargé de maintenir l’ordre en place du maître.
Les théâtres, musées, cinémas et concerts furent nationalisés ou communalisés selon leur importance. Sur présentation de la carte syndicale, chacun put assister à un spectacle. En même temps, sous l’impulsion de Szabados, les éditions de livres se multiplièrent. En moyenne, deux ouvrages parurent quotidiennement. Le prix d’achat des volumes resta le même que jadis, mais les salaires avaient augmenté dix à douze fois, si bien que l’on acquit des volumes presque gratuitement. Les traduction des meilleurs écrivains français, russes et allemands furent publiées. L’activité intellectuelle, pendant le régime communiste, atteignit le paroxysme.