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Le Libertaire n°279, 17 août 1951

Mohamed Saïl (1894-1953) : « Civilisation »

samedi 20 mars 2021, par Partage Noir (CC by-nc-sa)

Oui, « civilisateurs » est le slogan bien choisi par les gouvernants français pour justifier les crimes les plus affreux sur les populations paisibles de l’Afrique du Nord, alors que le panier de crabes de tous les bien-pensants flanqués des douairières en rupture du prestige national vont chantant à qui mieux mieux les bienfaits de la France généreuse, pacifique, salvatrice : canailles !

Il est bon de publier quelques documents. Voici une lettre du chef de bataillon Da Lioux (Millanah, 23 avril 1843) :
Nous rentrons d’une nouvelle expédition chez les Beni Abbas, Beni Bou Seid, etc., dépendant de la grande tribu des Beni Menasser, que l’on n’est pas encore parvenu à soumettre.
Notre colonne avait mission de tout ravager sur son passage et à plusieurs lieues des bivouacs successifs. En effet, l’on. a beaucoup détruit des villages entiers, de grands et véritables villages ont disparu dans l’incendie et plusieurs milliers de pieds de figuiers, d’oliviers et autres ont été coupés. Je ne m’explique pas ce dernier genre de dévastation, si l’on veut réellement occuper le pays ou seulement en exiger des contributions. Du reste, nous n’avons éprouvé que peu de résistance de la part de l’ennemi...

Du lieutenant-colonel Forey (Millanah, 26 avril 1842) :
(...) Vous avez lu dans les journaux que MM. de Bar, L’admirault et d’autres annonçaient avec emphase la soumission des Beni Menasser ; il n’en était rien, et, loin de là, l’insurrection avait gagné toutes les montagnes qui s’étendaient vers Tenez et le Dahra.
Le général de Bar, homme aussi incapable que possible, fut rappelé à Alger et, cette insurrection contrariant les projets ultérieurs du gouverneur qui, voulant s’avancer au Sud, ne pouvait laisser ses derrières en armes, le général Changarnier eut la mission de pénétrer avec tout ce qu’il pourrait réunir de bataillons dans ces montagnes, dont les Pyrénées ne peuvent donner une idée par leur difficulté, et d’amener la soumission des Kabyles à tout prix. C’était chose très difficile et d’un succès très douteux ; aussi le général ne l’entreprit qu’avec réserve. Sept colonnes partirent de Millanah et de Cherchell, devant ravager le pays, enlever le plus de troupeaux possible et surtout des femmes et des enfants : le gouvernement voulait effrayer les populations en les envoyant en France. Le général me confia le commandement de la plus forte colonne composée de cinq bataillons, et j’eus le bonheur de m’acquitter avec succès de mon rôle. Je manœuvrais de manière à rejeter sur une des colonnes de Cherchell des troupeaux et des populations qui fuyaient devant moi et je fis prendre à cette colonne ou je pris moi-même cinq à six mille têtes de bétail et soixante-dix femmes ou enfants, ainsi qu’un butin précieux, des armes, etc. Du reste, il n’y eut aucun point de résistance sérieuse et la population, entraînée par la famille El Berkani s’était dispersée au loin, nous abandonnant les habitations, qui furent toutes incendiées.
Rentrés à Millanah, le général en repartit deux jours après, par les montagnes les plus éloignées, et j’eus encore le commandement d’une colonne, je dirai la plus importante par sa composition et par la nature du pays que j’avais à parcourir. Depuis que je suis en Afrique, je n’avais vu et je ne me doutais pas qu’il y eut d’aussi nombreux et d’aussi grands centres de population que ceux que j’ai rencontrés dans les montagnes des Beni Bou Aïch et des Beni Bou Melek, etc. Là, plus de gourbis isolés sur les flancs des montagnes, construits en branchage et réparés aussitôt que détruits, mais des villages semblables à nos bourgs de France dans les plus belles positions et quelquefois presque inaccessibles, tous entourés de jardins, des forêts d’immenses oliviers de la taille des platanes de Perpignan. Tous, nous étions stupéfaits de tant de beautés, mais les ordres étaient impératifs et j’ai cru remplir consciencieusement ma mission en ne laissant pas un village debout, pas un arbre, pas un champ. Le mal que ma colonne a fait sur son passage est incalculable. Je crois que c’est le seul moyen d’amener la soumission ou l’émigration de ces habitants, bien à plaindre en définitive, puis-qu’ils sont entre deux partis, pour l’un desquels ils ne peuvent se décider sans encourir la vengeance de l’autre.
Dans cette expédition, il a été enlevé aux Kabyles environ trois mille têtes de bétail et deux cents prisonniers ; on a brûlé plus de dix grands villages, coupé ou incendié plus de dix mille oliviers, figuiers, etc...

Ma campagne de débourrage de crâne est loin de se terminer et, de plus en plus, je réserve bien des preuves qui mettront au ban de la société les gouvernants passés, présents et futurs, d’une République qui n’a rien à envier aux barbares les plus sanguinaires. A bas le colonialisme.

Le Libertaire n°279, 17 août 1951 [PDF]

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