La tête pensante de notre mouvement était Rudolf Rocker. Né en 1873 à Mayence, il perdit ses parents dans sa petite enfance. Élevé en orphelinat, l’apprenti relieur s’intéressa très tôt au mouvement socialiste. Il dut quitter l’Allemagne à l’époque de la répression anti-socialiste. Après un long séjour en France, il s’établit à Londres, où il devint actif dans le mouvement ouvrier juif et devint rédacteur du journal yiddish Arbeter Fraynd. Par ses publications en yiddish, il a contribué, en tant que non-juif, à l’enrichissement de la littérature de cette langue [1].
Rocker revint en Allemagne après la Première Guerre mondiale. Socialiste cultivé à l’esprit clair, brillant orateur, tempérament équilibré, caractère intègre et ouvert, une nature conciliante qui cherchait à régler au mieux chaque querelle — Rudolf Rocker était pour nous, les plus jeunes, le modèle d’un combattant de la liberté.
Rocker possédait une connaissance extraordinaire de l’histoire du mouvement ouvrier international, comme le montre sa biographie de Johann Most, et en même temps un grand sens pratique pour les problèmes de l’époque, comme en témoignent ses écrits : La lutte pour le pain et La rationalisation de l’économie et la classe ouvrière. Ce fut lui qui élabora le programme des anarcho-syndicalistes allemands et proposa une déclaration de principes au congrès syndical international de décembre 1922, dans laquelle il opposait le socialisme libertaire à la dictature des communistes et l’opportunisme politique des sociaux-démocrates. La contribution la plus importante de Rocker à la philosophie de l’histoire fut son œuvre d’abord publiée en anglais : Nationalism and culture (1937), qui parut en Allemagne en 1949, après la Seconde Guerre mondiale, sous le titre : Die Entscheidung des Abendflandes (« Le jugement de l’Occident » ). Bertrand Russel, Albert Einntein et Thomas Mann manifestèrent leur plus grand intérêt pour ce livre. Rudolf Rocker mourut à 84 ans, à New York. Une étroite amitié me lia à lui jusqu’à sa mort.