L’historien Max Nettlau, « l’Hérodote de l’anarchie » comme le nomma Rocker dans sa biographie, me fit une grande impression. Nettlau, fils d’un homme de fortune, avait étudié la philologie à Vienne et passa son doctorat avec un travail sur la langue celtique. Plus tard, il se consacra entièrement à l’étude de l’anarchisme. Je ne m’occupe que de thèmes particuliers qui n’intéressent qu’un cercle restreint et ne rapportent rien
, me dit-il en riant, lors d’une de nos discussions, lorsque je lui rendis visite dans sa petite chambre de Vienne. L’historien absorbé par ses recherches avait perdu à cause de l’inflation la fortune dont il avait hérité et qui lui aurait permis en temps normal de vivre une vie sans souci.
Les œuvres de Nettlau : Le printemps de l’anarchie, L’Anarchisme de Proudhon à Kropotkine, Anarchistes et socialistes révolutionnaires, Bakounine (3 tomes), Errico Malatesta, la vie d’un anarchiste et quelques autres écrits de moindre importance parurent aux éditions Der Syndikalist. Sa brochure Responsabilité et solidarité dans la lutte des classes est d’une importance particulière et conserve encore aujourd’hui toute son actualité. Il y exhorte les ouvriers à cesser de se considérer comme les outils irresponsables du capitalisme
et à chercher à influencer le processus de production. Par cet écrit, Nettlau devint l’un des pionniers de la cogestion syndicale actuelle [1] tout. comme, par ses appels à refuser de fabriquer des produits dangereux, il fut un pionnier de l’écologie.
Les revenus que tirait Nettlau de la publication à petits tirages de ses œuvres étaient maigres. Lorsque les nazis fermèrent notre maison d’édition et détruisirent notre stock de livres, il ne lui resta plus rien. Les nazis pillèrent aussi la bibliothèque de l’Association communiste pour la culture ouvrière, fondée à Londres au siècle dernier par des émigrants socialistes allemands. Cette bibliothèque était conservée dans nos locaux de Berlin et était d’un grand intérêt historique.
Pour Nettlau cependant, le proverbe : Quand l’urgence est grande, le secours n’est pas loin
devait jouer. Il légua sa bibliothèque à l’Institut d’histoire sociale d’Amsterdam, qui lui offrit en échange de ce don de valeur une rente perpétuelle et la possibilité de travailler dans les locaux de l’institut. Il vécut à Amsterdam jusqu’à sa mort en 1944. Les nazis ne l’inquiétèrent pas lui-même, mais en avaient après sa bibliothèque. Lorsqu’au cours de la Seconde Guerre mondiale, Amsterdam fut occupée par les Allemands, Alfred Rosenberg, l’idéologue du national-socialisme, fit réquisitionner les livres de Nettlau pour son usage personnel. Mais les désordres de la guerre contrarièrent ses projets. La guerre finie, on trouva les caisses de livres encore fermées dans une gare du Nord-Ouest de l’Allemagne. Ils furent ramenés à Amsterdam et se trouvent aujourd’hui encore à l’Institut d’histoire sociale.