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[01] La politique & la langue anglaise : Introduction de L’Insécurité sociale

vendredi 15 novembre 2019, par L’Insécurité sociale (CC by-nc-sa)

Les idées dominantes n’exercent pas leur pouvoir selon un mode invariant. Dans les pays de vieille tradition capitaliste, une nouvelle manière s’est établie depuis plus de trente ans, associant l’apparence de la vieille liberté d’opinion à l’efficacité du mensonge totalitaire. Soljenytsine a souligné cela en remarquant qu’en Occident on peut dire toute la vérité sans que cela change quoi que ce soit.

On peut de moins en moins parler d’idéologie au sens d’un système d’idées liées socialement à un groupe économique, politique, ethnique ou autre, exprimant sans réciprocité ses intérêts plus ou moins conscients, et constituant donc la cristallisation théorique d’une forme de fausse conscience.

Les idéologies structurées ne sont plus au centre du mensonge social ; c’est pour cette raison que la compréhension de ce qu’est la confusion est devenue un point de référence pour la pensée critique. Être confus, ce n’est pas se tromper mais, d’une part, se complaire dans un éventail de mensonges, de demi-mensonges, de mensonges par omission et de banalités creuses, complètement contradictoires (ça donne une apparence de totalité !) et, d’autre part se définir contre quelque chose que l’on diabolise. Les pseudo-vérités se soutiennent ainsi par l’affrontement, au lieu que cet antagonisme les disqualifie. On en trouve les plus belles illustrations dans les discours des partis politiques. Les ignominies de la droite font pâlir celles de la gauche et inversement, les crimes de l’Union soviétique et ceux des États-Unis s’éclipsent mutuellement.

Ce désordre, cette incohérence ont pour fonction de laisser ce qui existe à l’abri de la critique, rien de plus. L’ultime argumentation de l’ordre existant est désormais : j’existe, un point c’est tout.

Le texte traduit ici a été écrit au début de la période dans laquelle nous vivons encore : Orwell y démonte certains des mécanismes du langage mensonger, qui devenait alors dominant et qui s’appuyait sur un extraordinaire développement dans l’art de jouer sur les mots. Il se trouve que l’analyse de cet « art » aide beaucoup à comprendre la confusion politique d’aujourd’hui : les mensonges ne sont pas moins nombreux qu’à l’époque d’Orwell, mais ils sont devenus une norme de pensée, et sont par là-même plus difficiles à nommer. Cet art dans la manipulation des mots n’est bien sûr pas tout-puissant, puisqu’il ne peut prospérer que sur un fond de passivité et d’indolence généralisées. On peut en effet remarquer que la passivité a atteint la dimension d’un trait de civilisation et est devenue l’un des facteurs agissant de notre époque. Elle est sans doute pour beaucoup dans le fait que le cours de l’histoire moderne a pris au dépourvu toutes les vieilles théories de la révolte sociale.

Le texte La politique et la langue anglaise ne peut intéresser que ceux qui veulent bien voir l’ampleur des mensonges politiques et la signification de cette ampleur. S’ils savent déjà, comme l’écrit Orwell, qu’aujourd’hui les discours et les écrits politiques sont pour l’essentiel une défense de l’indéfendable, ils auront néanmoins avantage à le lire parce qu’il met en lumière des techniques dont tout le pouvoir tient à la pénombre qui les entoure. Le mérite de ce texte est là : il est utilisable, sa lecture n’est pas réservée aux spécialistes de stylistique qui usent d’un vocabulaire impénétrable au non-initié. Cette réflexion peut servir à combattre la destruction de la lucidité, destruction devenue indispensable à tous les pouvoirs. Nommer les procédés de la confusion ne suffit pas, bien entendu, à la faire disparaître, mais cela nous donne au moins le moyen d’en démonter les mécanismes et de la refuser.


  [02] La politique et la langue anglaise (1946)