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Séverine (1855-1929) [02]

jeudi 25 mars 2021, par Victor Méric - Flax (CC by-nc-sa)

Il faut aussi reconnaître que non seulement Séverine se distingue des hommes, mais encore et peut-être surtout des femmes. Les femmes qui se jettent dans la vie publique ne font d’ordinaire pas meilleure figure que leurs adversaires du sexe fort. Le féminisme bruyant et réclamier de ces dernières années nous a permis d’observer quelques échantillons d’arrivistes en jupons qui ne valent pas mieux que les autres. Ces dames parlent, écrivent, s’agitent, font un bruit énorme autour de leurs revendications. Au fond, elles se soucient seulement de se soustraire à certaines obligations et ne songent qu’à conquérir des droits personnels. Qu’on saisisse bien ma pensée. Mon intention n’est pas de combattre ici le féminisme qui m’apparaît comme une théorie nécessaire des droits de la femme, comme l’expression d’une révolte légitime de l’éternelle sacrifiée. Je voudrais simplement dénoncer les amazones qui, sous le prétexte du féminisme, ne nous offrent que le ridicule et quelquefois l’odieux d’attitudes outrancières. Qu’une femme combatte pour son émancipation et pour celle de ses sœurs, c’est parfait. Mais que pour affirmer ses droits, elle commence par se masculiniser, qu’elle ne songe qu’à copier l’homme dans tout ce qu’il a d’exécrable et de grotesque ; qu’elle rêve d’égalité dans la bêtise, dans l’égoïsme, dans la servilité ; qu’elle rivalise avec celui qu’elle nomme son ennemi de sottise et d’inconséquence et d’illogisme ; qu’elle vienne nous parler de droit au vote, de service militaire, de sports ; qu’elle s’affuble d’un faux-col, d’un chapeau de feutre mou et qu’elle porte les cheveux ras, en un mot, que pour mieux remplir son rôle de féministe, elle cesse ou à peu près d’être femme, voilà une singulière façon de démontrer la supériorité du sexe faible.

Je me suis amusé autrefois à dépeindre et à ranger par catégories, les divers spécimens de féministes que j’avais pu observer, depuis les tricoteuses qui brûlent le code Napoléon sur la place de la Concorde et gesticulent sur les tréteaux de réunions publiques jusqu’aux intellectuelles pâmées qui débitent leurs vers avec des poses alanguies ou vous fatiguent l’entendement de raisonnements minutieux. Il y en avait, il y en avait. Des vieilles et des jeunes. Tout un bataillon de tricoteuses prêchant la haine de l’homme, le mépris de l’amour, le dédain du foyer. Et toutes menées, au fond, par l’envie, la rage stupide qui les dresse contre la beauté, l’élégance, le charme, contre ce qui fait vraiment la femme et atteste sa véritable supériorité. Car, en y bien songeant, le féminisme, c’est pour beaucoup la revanche de la laideur, le drapeau que brandit la mégère. Et c’est un spectacle à la fois cocasse et terrifiant que cette chevauchée de diablesses en jupons, vieilles libidineuses édentées ou jeunes perches insexuées, ruées en cavalcade contre l’homme, contre la femme, contre l’amour, au nom d’un féminisme dont elles n’ont compris ni les aspirations, ni les désirs. Une tumultueuse mascarade où la femme ne s’égare que par accident et avec répugnance.

C’est l’honneur de Séverine de n’avoir rien de commun avec ce monde charivaresque. Elle qui prétendait qu’une femme ne doit monter à la tribune qu’avec des cheveux blancs et qui a longtemps attendu avant de prendre la parole en public, elle qu’on n’a jamais vu se singulariser parmi des manifestations bouffonnes, elle qui n’a jamais revêtu de costume spécial et qui a toujours su rester la femme, conservant la douceur exquise, la sensibilité, l’émotion, tous les dons précieux, toutes les qualités savoureuses de la femme, elle qui, cependant, est ardemment féministe parce qu’elle rêve avant tout d’émanciper ses compagnes, de redresser l’être de douleur et d’esclavage dont les siècles d’autoritarisme brutal ont courbé le front, elle, l’Ange de Charité, la fraternelle, et pitoyable, et dévouée servante du Malheur, ne doit-on pas la ranger à part, parmi quelques autres fort rares, en marge, en dehors du pêle-mêle féministe où suffragettes, militaresses, amours-libristes, prophétesses, sybilles, sorcières, mégères, frondeuses, tricoteuses, dansent le plus échevelé des cake-walk ?