Notre ami Pouget est mort. Il avait 71 ans. Il ne laisse après lui que des regrets et de la sympathie. Cet homme modeste, qui avait du talent comme écrivain, qui avait des goûts artistiques, qui avait un sens critique des plus fins, fut en même temps un homme d’action. Au lieu de se contenter d’écrire, il prit part directement à la lutte des syndicats ouvriers contre le patronat et contre l’État.
Ce besoin d’activité, il le montra de bonne heure, quand en 1883 (il avait alors 23 ans) il organisa avec Louise Michel la manifestation des sans-travail...
Il fonda le Père Peinard en 1889, rédigé avec une verve que personne n’égala. Ce n’était pas le polémiste qui s’attaque grossièrement aux personnes, comme Léon Bloy ou Léon Daudet, c’était, ce qui est plus rare, l’ironiste mordant, qui, avec le bon sens du populo et en langue verte, en argot, s’attaque aux injustices et montre la cupidité des parasites sous leur feinte philanthropie et leur hypocrite moralité. Il démolit le respect des institutions. Son journal eut une grande vogue et toucha un grand nombre de lecteurs. Il prépara ainsi efficacement la diffusion des idées anarchistes.
Pouget, au lieu de se cantonner dans le’ domaine des idées, au lieu de se fossiliser dans une doctrine intransigeante et incompatible avec la vie sociale, prit, un des premiers, l’initiative de participer à la lutte syndicale, qui, dans les débuts, paraissait liée à l’action politique et parlementaire et tenue en grave suspicion. n fonde ou il aide à fonder le syndicat des employés. Il apporte son appui à Pelloutier dans la propagande pour l’idée de grève générale et celle d’action directe. Il devient enfin le secrétaire adjoint de la Confédération Générale du Travail en 1897, où il s’occupe de la rédaction de la Voix du Peuple. Il joue surtout le rôle effacé, mais efficace, d’une sorte d’Eminence grise, conseiller intime de Griffuelhes, le plus intelligent dies secrétaires confédéraux qui se sont succédés à la tête de la grande organisation ouvrière.
A son exemple, et couverts, peut-on dire, par l’initiative de leur aîné, nombre de jeunes anarchistes entrent dans les syndicats et y diffusent des tendances d’indépendance et de combativité indépendance vis-à-vis du patron ou du politicien, action directe fondée sur la valeur morale des individus et sur leur cohésion, idéal d’affranchissement fondé sur l’organisation fédérale et en dehors de l’État, etc. A ce point de vue on peut dire que les anarchistes vivifièrent le mouvement ouvrier et lui inspirèrent la tactique de self-government. Pouget, sans s’être jamais mis en avant, eut, entre tous, une très grande influence sur l’orientation du mouvement. Mais ne le savent guère que ceux qui l’ont connu personnellement, que ceux qui ont connu son intelligence et sa très grande valeur.
Dans un numéro antérieur de Plus loin, le camarade Wintsch, à propos de la mort d’un autre vieil anarchiste, Jacques Gross, nous relevons ces lignes si expressives :
Mais on voyait surtout chez Gross des collections de vieux journaux anarchistes que je considérais alors comme des trésors inestimables. C’est le Bulletin de la Fédération Jurassienne à laquelle Gross avait appartenu, très corporatiste et fédéraliste. Puis surtout les publications un peu postérieures La Révolte et le Père Peinard. Le plaisir était immense pour nous de déguster les tartines de Pouget, pleines d’esprit faubourien, frondeur et crâne, ayant toujours en vue d’ailleurs le développement du travailleur — gnaf ou campluchard — sur son propre terrain du travail ; et il y avait là des images de Luce, de Constantin Meunier, de Pissarro et autres impressionnistes, un tas de types qui faisaient rudement bien.