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Le Soir : Emile Pouget

mardi 20 septembre 2022, par Victor Méric - Flax (CC by-nc-sa)

Du bon camarade Victor Méric qui, lui aussi a bien connu Pouget, article ci-après, paru dans Le Soir du 26 juillet.

Ce pauvre Emile Pouget, qui vient de mourir à l’âge de soixante et onze ans et que la jeunesse d’aujourd’hui ignore naturellement, aura cependant empli son temps de son nom, de ses aventures, de son influence. C’était un journaliste remar­quable et un organisateur de premier ordre.

Il débuta dans le mouvement social vers 1879, en contribuant à fonder le premier syndicat des employés, il était anar­chiste et appartenait à ce petit groupement de militants disciples de Bakounine qui se réunissaient 131 de la rue Saint-Martin et qu’on appelait le quarteron.

Le 9 mars 1833, la Chambre syndicale des menuisiers orga­nisait un vaste meeting sur l’esplanade des Invalides. Deux grou­pes se formèrent, dont l’un prit la route du faubourg Saint-Antoine. Sur son passage, il y eut quelques pains dérobés chez les boulangers. Pouget était de la manifestation, à côté de Louise Michel. Tous deux furent arrêtés. Louise récolta six ans de ré­clusion. Pouget en eut pour huit ans.

Il ne demeura que trois ans à Melun, grâce à l’amnistie. A sa sortie, il fonda l’inoubliable Père Peinard, une sorte de ré­plique au Père Duchêne où il donnait la parole à un gniaf. Ce brûlot était rédigé dans un style à dessein populaire, plein de verve mordante et d’aperçus originaux. Pouget y disait de dures vérités. Si bien qu’il fut de nouveau poursuivi. En 1894, époque de la grande frousse bourgeoise, il est fourré dans le fameux procès des Trente, s’enfuit à Londres d’où il continue à publier son Père Peinard.

Plus tard, il écrit dans la Sociale, dans le Journal du Peuple. C’est à ce moment que je l’ai connu. Il ne pensait qu’à la con­quête des syndicats. Il fut parmi les pionniers de la CGT dont on le proclamait l’Eminence grise. Il fonda la fameuse Voix du Peuple. Mais l’histoire de Pouget, depuis le premier syndicat des employés jusqu’aux bagarres de Draveil-Villeneuve, c’est l’histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire.

Et cependant, Pouget était un modeste. Il s’effaçait volontiers. Mais sa ténacité était proverbiale. Il ne renonçait jamais. Le Journal du Peuple était mort, faute de munitions, qu’on voyait encore Pouget, entêté, s’acharnant à vouloir faire la mise en pages. Le quotidien, ce fut toujours sa marotte. Un jour, je le vis arriver à la Santé où j’étais hospitalisé, il me dit :

— Ça y est. Je fonde un journal. Je l’appelle La Révolution.

La Révolution dura deux mois. J’y collaborai de ma cellule, fidèlement. C’était un beau canard, combatif, ardent, il ne lui manquait que le nerf de la guerre.

Depuis quelques années, Pouget avait abandonné le mouve­ment. Il vivait à l’écart, modestement. Il était de ceux qui ne s’enrichissent pas dans la politique. Je le rencontrais, de temps en temps, avenue d’Orléans où, un sac à la main, il venait faire son marché. Il allait le regard perdu, vieilli, la démarche hési­tante. Mais sa mémoire demeurait intacte. Que de fois nous avons évoqué les luttes d’antan et les hommes dont quelques-uns avaient mal tourné ! Pouget hochait la tête, plein de mansuétude et de philosophie.

C’était un rude et bon ouvrier, un propagandiste merveilleux, un journaliste de grand talent. Il a fait sa besogne et, le soir venu, il s’endort paisiblement, sans bruit. Avec lui, ç’est toute une époque de luttes héroïques qui disparaît. Je salue avec infiniment de douleur le vieil ami et le vétéran révolutionnaire qui va connaître, enfin, le repos. Les vieux s’en vont. Place aux jeunes ! crie-t-on. Mais on aura du mal à retrouver un Pouget.


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