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Emile Pouget : « La prise de la Bastille »

mercredi 21 septembre 2022, par Emile pouget (CC by-nc-sa)

Nous ne saurions mieux faire que de reproduire ici un des articles types qu’Emile Pouget écrivait chaque semaine dans son Père Peinard.

Dans huit jours, non de dieu, y aura cent ans que les bons bougres de parisiens foutaient la Bastille en bas.

A cette occase, tous les canards vont rengainer les vieilles histoires, nous rabâcher un tas de machines archi-réchauffées. Quand tous ces chameaux, ces chieurs d’encre nous ont raconté que Camille Desmoulins a dégoiser un chouette discours au Palais Royal, qu’on a baladé dans les rues les poires en plâtre de Necker et du Duc d’Orléans ; que les soldats se sont fichus quelques tripotées avec le populo ; ils se foutent dans la caboche qu’ils ont bavé tout ce qu’il y avait à dire sur la Révolution.

Eh, nom de dieu, tout ça c’est le fla-fla, les fioritures de la Révolution elle-même. Le chambardement a eu des racines plus profondes ; le populo n’a pas fait que gueuler sur les places et dans les jardins, il a agi, mille tonnerres !

Oui, le populo a agi ; mais pas comme vous le croyez. Il ne s’est pas contenté de prendre la Bastille et d’aller se cou­cher après ; s’il avait été assez moule pour croire que la Bas­tille foutue en l’air, il n’y avait plus qu’à roupiller, foi de Père Peinard, nom de dieu, le petit-fils de Louis XVI nous ferait en­core le poil.

La prise de la Bastille !... parlons-en, nom d’un pétard ! En voilà une grosse blague qu’il serait temps de réduire à sa valeur. Eh ! bon sang, à chaque coup que le populo se foutait en révolte, il s’emparait de cette sacrée Bastille ; c’était déjà arrivé une demi-douzaine de fois.

D’ailleurs, pas difficile à enlever cette bicoque ; elle était gardée par trois pelés et un tondu, et foutre qui plus est, c’était des invalos !

Seulement en 89, le populo, plus mariole que les autres fois, a démoli la Bastille. Cette démolition prouve que ce coup-là ce n’était pas une émeute, mais bien une Révolution pour de vrai.

Oui, nom de dieu ; la prise et la démolition de la Bastille n’a pas été l’événement le plus épastrouillant de cette guerre entre la noblesse et le populo. Y a eu autre chose, d’autres événements plus caractéristiques, et qui ont mieux donné la vraie note du mouvement.

Démolition de la Bastille, Paris, juillet 1789 (Lesueur, Jean-Baptiste , Dessinateur). Entre 1789 et 1790.
CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris.

Depuis, on nous a fait croire que le populo d’alors en pinçait pour des Constitutions, des Déclarations des droits de l’homme et autres gnoleries du même calibre. Sacrés farceurs ! Ah ! non alors, les bons bougres ne se faisaient pas casser la gueule pour ces rengaines, qui ne vinrent qu’après. C’est quand les bourgeois pris d’un trac épatant cherchèrent à foutre de la poudre aux yeux des gars à poil, en leur montant le bourrichon, qu’on lança tous ces boniments. C’était bien joué, nom de dieu, à tel point que depuis un siècle, nous mordons à l’hameçon.

Ce que voulait le populo en 1789, c’était vivre mieux que sous l’ancien régime : il voulait se caler les joues, se remplir la panse, et n’être plus sous la coupe des nobles, des prêtres et des bourgeois.

Hélas, il fut roulé par les politiciens ; eh oui ! ces sales Jean-foutres n’existent pas que d’aujourd’hui ; il y a un siècle, cette engeance fleurissait aussi puante qu’actuellement. C’est pourquoi il nous faut recommencer la besogne au point où nos paternels l’ont abandonnée.

Pour bien nous rendre compte du travail à faire, y a rien de plus bath que de voir comment s’y prenaient les bons bou­gres de 89. Il faut se rendre compte de ça, nom de dieu, qu’au-dessous de l’histoire officielle et mensongère, il y a l’histoire populaire et vraie [1].

Révolution française. Pillage de la maison et des ateliers Réveillon, faubourg Saint-Antoine, le 28 avril 1789, 4e arrondissement.
CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris.

Un des soulèvements les plus chouettes du populo fut dans les premiers jours d’avril 1789, l’incendie de la Manufacture de Réveillon, un gros exploiteur du faubourg Antoine. Ce salop avait tripoté dans les accaparements, en plus de ça, il parlait de ses ouvriers comme d’une merde de chien, disant qu’il leur apprendrait à vivre avec quelques sous par jour et à bouffer de la paille.

Donc, ça émoustillait les bons bougres du faubourg, on se rua sur son bagne, on foutit tout par les fenêtres, après quoi on y mit le feu (Michelet est le premier historien qui ait raconté chouettement cette insurrection).

Ça montrait bien que le populo en voulait aux riches, et que c’était du bien-être qu’il réclamait, et non des députés.

Ce ne fut qu’une émeute. La Révolution mijota 3 mois, avec quelques incendies par-ci par-là, quelques gros dépôts d’épicerie ou de boustifaille foutus au pillage.

Pendant ce temps on nommait des États-Généraux, et les bafouilleurs allaient faire la roue, en Jean-foutres qu’ils étaient à Versailles.

Mais, nom de dieu, ça fermentait bougrement. On savait à Paris les préparatifs que faisait la cour et les bandits de la noblesse pour écrabouiller la grande ville ; on savait que les députés étaient des Jean-fesses, depuis Mirabeau jusqu’à Robes­pierre, bons pour bafouiller, faire des discours, mais inca­pables d’avoir du poil.

C’est alors que ça éclata et chouettement, mille tonnerres ! Ce fut si beau, si vraiment révolutionnaire, que l’énergie des bons Parisiens du 12 juillet 1789 pourra servir d’exemple pour tous les chambardements de l’avenir.

Les bons bougres prouvèrent d’abord qu’ils en voulaient au gouvernement. Paris était à l’époque (tout comme aujourd’hui) entouré d’octrois, les brigands (comme disent les chieurs d’en­cre de l’époque) foutirent le feu à tous.

Ils renversèrent les barrières, chahutèrent les bicoques qui abritaient les gabelous et foutirent le feu partout. Ce n’est pas seulement les bureaux qui cerclaient Paris, mais encore tous ceux qui se trouvaient sur les quais qui furent flambés.

C’était un dimanche que ça se passait. Le lendemain, les bons bougres voulurent faire voir qu’ils en voulaient autant aux richards qu’aux gouvernants. Ils parlaient tout bonassement de foutre le feu aux belles maisons de tous les aristos [2].

Le Père Peinard.

[1Tous les faits que je raconte sont pris dans un petit bouquin écrit par un contemporain de 89, et que le Père Peinard recommande aux copains. C’est un livre de la Bibliothèque Na­tionale à cinq sous le volume. Les œuvres choisies de Chamfort. Il y a trois volumes, c’est dans les deux derniers que se trouvent les Tableaux historiques.
Turellement c’est écrit dans un esprit bougrement bourgeois, mais avec un peu de jugeotte, on rétablit la vérité.

[2On est plus roublard aujourd’hui, on logerait les pauvres diables dans les belles turnes ; on se garderait bien de les brûler.