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La Vie militante d’Emile Pouget

dimanche 21 juillet 2024, par Paul Delesalle (CC by-nc-sa)

Le Cri du Peuple, dans ses numéros du 29 juillet et 5 août 1931, a publié l’article ci-après :

Personne ne pouvait mieux retracer — pour les générations qui ne l’ont pas connu — la vie militante d’Emile Pouget que Paul Delesalle, son ami, son compagnon de luttes de quarante années et qui fut lui aussi, secrétaire de la CGT, de la vraie CGT, celle d’hier, celle que nous travaillons à reconstruire.

Lundi 21 juillet, à cinq heures du soir, une courte dépêche, Emile plus mal, m’avertissait.

Notre vieux camarade s’était éteint tout d’un coup dans son fauteuil vers 2 heures de l’après-midi, à l’âge de 71 ans.

Les camarades du Cri m’ont demandé d’écrire un article sur Emile Pouget. C’est une tâche difficile tant sa vie, toute au service de la classe ouvrière, fut remplie. J’ai tenté de le faire mais je me rends compte de l’insuffisance de mon papier. Ecrire une vie, même résumée, de Pouget, c’est écrire l’histoire du mouvement prolétarien pendant plus de trente années et cela dépasse, et de beaucoup, le cadre d’un article.

La jeunesse

Paul Delesalle

Emile Pouget était né en 1860, près de Rodez, dans le département de l’Aveyron. Son père qui était notaire, mourut de bonne heure. Sa mère se remaria et de ce fait sa vie fut en quelque sorte désaxée. Néanmoins, son beau-père, bon républicain de l’époque, batailleur comme son beau-fils, perdit vite sa place de petit fonctionnaire pour avoir écrit dans une petite feuille de combat qu’il avait du reste fondée.

C’est au lycée de Rodez où il commença ses études que naquit sa passion pour le journalisme. Il fonda — à 15 ans —son premier journal, le Lycéen républicain. Je n’ai pas besoin de dire comment ses maîtres accueillirent la petite feuille.

En 1875, son beau-père mourut. Il lui fallut quitter le lycée pour gagner sa vie. Paris l’attira. Ce que furent ses débuts dans la capitale, je ne puis à mon grand regret le dire ici dans leurs détails. Employé dans un magasin de nouveautés, il se mit, la tâche terminée, à courir les réunions publiques, les groupes avancés et rapidement se donna tout entier à la propagande révolutionnaire.

Pour être exact et complet, il me faudrait refaire ici l’histoire des scissions socialistes, la création des premiers groupements anarchistes avec ce que l’on a appelé à l’époque le demi-quarteron.

Mais déjà, l’anarchisme purement spéculatif et idéaliste ne pouvait satisfaire un sens social prononcé et dès 1879 il prit part à la fondation, à Paris, dit premier syndicat d’employés. Il y a une telle unité de vie militante chez Pouget qu’il sut bientôt décider son syndicat à publier la première en date des brochures antimilitaristes. Inutile de dite que de fut notre syndicaliste qui la rédigea et j’ajoute qu’elle serait aujourd’hui impubliable aussi bien par la véhémence de son texte que par les conseils dont elle était largement émaillée...

Vers les années 1882-1883, le chômage sévissait à Paris avec une certaine intensité, si bien que le 8 mars 1883 la Chambre syndicale des menuisiers convoquait les sans-travail à un meeting et plein air qui devait se tenir sur l’esplanade des Invalides.

Bien entendu, le meeting fut rapidement dissous par la police, mais deux groupes importants de manifestants se formèrent : l’un prit le chemin de l’Elysée et fut rapidement dispersé, l’autre, avec Louise Michel et Pouget, dévala vers le boulevard Saint-Germain. Rue du Four une boulangerie fut plus ou moins dévalisée. Peut-être raconterai-je un jour par le détail ce que fut exactement cette randonnée telle que me la conta Pouget un 8 mars anniversaire.

Néanmoins, la manifestation continua et ce ne fut qu’arrivée place Maubert qu’elle se trouva en présence d’une force de police importante. Les agents s’étant précipités pour arrêter Louise Michel, Pouget s’efforça de la délivrer ; il fut à son tour arrêté et conduit au poste. Quelque temps après, sous l’inculpation — inexacte — de pillage à main armée, il passait en cour d’assises. Louise était condamnée à six ans de réclusion, Pouget à huit ans, peine qu’il dut purger à la prison de droit commun de Melun. Il y resta trois années pleines et une amnistie intervenue, à la suite d’une élection de Rochefort l’en tira au bout de ce temps.

La prison, bien au contraire, n’avait pas assagi le militant. Pour vivre, il s’occupa alors de représentation, voire de librairie en même temps qu’il reprenait la propagande.

Le Père Peinard

Et la propagande le prit si bien que l’idée lui vint naturellement d’avoir un journal.

C’est le 24 février 1889 que paru le premier numéro du Père Peinard en petite brochure, rappelant les Lanternes de Rochefort, écrit à la façon imagée du Père Duchêne, d’Hébert, mais d’un style plus prolétarien. Dans l’un des premiers numéros, il reproduit la lettre d’un correspondant qui montre combien Pouget avait touché juste.

Dans mon bureau il y a huit copains... Je leur fais lire le Père Peinard. Ils sont malheureusement trop couillons pour l’acheter, mais je leur prête, et il faut l’avouer, c’est la forme qui fait passer les idées qui y sont contenues. Donc cela prouve que vous avez raison.

Et Pouget de répondre : J’ai foutu ta lettre, cher copain, malgré la pommade que tu me passes : justement parce que tu as mis le doigt sur un des chouettes côtés de mes flanches.

La forme, en ceci, faisait passer le fond et c’est pourquoi les petits pamphlets de Pouget eurent un succès dont on se rend difficilement compte aujourd’hui. Tant que dura le Père Peinard — puis la Sociale, — il y eut dans certains centres ouvriers une réelle agitation prolétarienne et je pourrais citer dix, vingt localités ouvrières, telles Trélazé, Fourchambault où tout mouvement est tombé à rien après la disparition de ses pamphlets.

A Paris, notamment, parmi les ébénistes du faubourg Saint-Antoine, le mouvement revendicatif dura tant que vécut le Père Peinard. Un petit brûlot Le Pot-à-Colle, écrit dans le même style y parut même vers les armes 1891-1893. Depuis, le faubourg est à peu près resté en sommeil. Telle a été à une certaine époque l’influence profonde de Pouget sur le mouvement ouvrier.

Le Père Peinard

Et cela n’est en rien surprenant car l’anarchisme de Pouget est avant tout et surtout prolétarien. Dès les premiers numéros du Père Peinard, il exalte les mouvements de grève, les numéros du 1er Mai sont uniquement consacrés à encourager les copains à y prendre part. Le 1er Mai est une occase qui peut tourner bien. Il suffirait pour cela que nos frangins, les troubades, lèvent la crosse en l’air, comme en février 1848, comme au 18 mars 1871, et ça ne serait pas long du coup.

L’un des premiers, il sent tout ce que l’on peut tirer de l’idée de « Grève Générale » et dès 1889, il écrit :

Oui, nom de Dieu, y a plus que ça aujourd’hui la Grève Générale !

Voyez-vous ce qui arriverait si dans quinze jours y avait plus de charbon. Les usines s’arrêteraient, les grandes villes, n’auraient plus de gaz, les chemins de fer roupilleraient.

Du coup, le populo presque tout entier se reposerait. Ça lui donnerait le temps de réfléchir ; il comprendrait qu’il est salement volé par les patrons, et dame, il se pourrait bien qu’il leur secoue les puces dare-dare !

Et plus loin :

Donc une fois que les mineurs seraient tous en l’air, que la grève serait quasi générale, faudrait, nom de dieu, qu’ils se foutent à turbiner pour leur propre compte ; la mine est à eux, elle leur a été volée par les richards ; qu’ils reprennent leur bien, mille bombes.

Et le jour où, assez marioles, y aura une tripotée de bons bougres qui commenceront le chabanais dans ce sens, eh bien ! foi de Père Peinard, le commencement de la fin sera arrivé !

Un grand pamphlétaire prolétarien

Mais si le mouvement ouvrier y tient une très grande place, tous les autres aspects de la question sociale, Pouget les passe au crible de son implacable censure ; aucune des tares de la société bourgeoise ne lui échappe ; une grande banque, « Le Comptoir d’Escompte », vient-elle de sauter : son article « Les Accapareurs » serait à citer en entier :

Gouvernants, bouffe-galette et financiers, c’est fripouille et Cie. Comme aujourd’hui, l’on a décidé une enquête Je préfère, écrit-il, le système de 89, c’était mieux. Ainsi au mois de juillet 89, Berthier de Sauvigny était accroché à un réverbère, et un autre de ses copains, Foulon, était massacré. Quand donc nous foutrons-nous à appliquer à nouveau ce système, pour faire passer le goût du pain à toute la clique des Rothschild et des Schneider ?

L’agitation à l’extérieur ne le laisse jamais indifférent.

Ainsi : « Chez les copains d’à-côté » : En plus des gars d’Allemagne qui se trémoussent gaillardement, les Macaronis cassent la margoulette à leurs grands proprios, les paysans serbes et bulgares, qualifiés de brigands par nos salopiots de journaleux, tapent sur leurs grosses légumes... Y a pas jusqu’aux Angliches qui, malgré leur flegme et leur air gnangnan, y sont allés de leur petite grève.

C’est ensuite « Les Jean-foutreries militaires », critique de l’armée, des « saloperies de la caserne » et c’est une charge à fond — et quelle charge ! — de l’armée et du militarisme.

« Au Palais d’injustice », c’est la magistrature et la justice de classe et je ne vous dis que ça, qui est à son tour jugée comme elle le mérite.

Et ce n’est pas tout. A chaque sursaut de l’opinion publique c’est un article, voire un numéro spécial, car Pouget a, par-dessus tout, le sens exact de la propagande, de ce qu’il y a à dire aux foules.

Le tirage au sort lui est un bon prétexte, de même l’anniversaire de la Commune ou du 14 juillet, et souvent un placard [1] accompagne le numéro du Père Peinard. Pas un fait qui ne touche tant soit peu l’opinion ne le laisse indifférent. C’est que Pouget est avant tout et surtout un journaliste-né.

Mais où la polémique revêt une forme plus personnelle, bien que sans lui être particulière puisqu’elle est celle de tous les anarchistes à cette époque, c’est dans sa critique du parlementarisme et de tout l’organisme étatique.

Ce que ressuscitaient Pouget et les anarchistes de cette époque c’étaient en réalité les anciennes luttes de la Première Internationale, le socialisme libertaire d’une part, représenté par Bakounine et la Fédération dite Jurassienne, et le socialisme autoritaire de Marx.

Guesde, — le meilleur des représentants du socialisme autoritaire de l’époque — la bête noire de Pouget et qui le lui rendait bien, — allait partout clamant : Envoyez au Parlement, vous classe ouvrière, la moitié des députés plus un et la Révolution ne sera pas loin d’être un fait accompli. Ce à quoi Pouget et ses amis répondaient : Groupez-vous dans vos Sociétés ouvrières, dans vos syndicats et emparez-vous des ateliers.

Deux méthodes qui mettaient et mettent aujourd’hui encore — aux prises, et de façons parfois violentes, socialistes libertaires et autoritaires.

Et Pinget d’illustrer sa thèse, aussi la polémique est-elle acerbe. Qu’on en juge : C’est dimanche qu’elles ont lieu, ces sacrées élections ! Turellement c’est pas les candidats qui manquent ; y en a pour tous les goûts et de toutes les couleurs une truie n’y trouverait pas ses petits.

Mais, nom de dieu, si la couleur et l’étiquette des candidats changent, y a une chose qui ne varie pas : les boniments ! Réacs, républicains, boulangeards, socialos, etc., etc., tous promettent au populo de se faire mourir de fatigue !

Et un violent placard de développer sa démonstration.

Répression

Mais une telle propagande, menée avec tant de vigueur, n’était certes pas sans inconvénients. Les poursuites pleuvaient dru et si ses gérants écopaient, Pouget, lui aussi, allait faire de temps à autre des séjours à Sainte-Pélagie, la prison politique de l’époque, ce qui n’empêchait pas le Père Peinard de paraître, des copains allant à tour de rôle chercher la copie à prison même.

Une période d’agitation aussi intense — et il faut bien le dire, elle n’était pas seule — avait exaspéré certaines individualités, une série d’attentats s’ensuivit avec, comme couronnement, l’assassinat à Lyon du président Carnot.

La bourgeoisie, excitée par la presse à son service, fut prise d’une frousse telle qu’elle ne crut trouver son salut que dans le vote par les Parlements d’une série de lois de répression qualifiées justement, la peur passée, de lois scélérates.

Les arrestations succédèrent aux perquisitions qui eurent lieu par centaines à travers le pays et un grand procès, dit « Procès des Trente », fut engagé.

Pouget et pas mal d’autres camarades mirent alors la frontière entre eux et leurs prétendus juges. L’exil commençait pour lui et le 21 février 1894, le 253e et dernier numéro de la première série du Père Peinard paraissait.

Réfugié à Londres où il retrouva Louise Michel, ce serait mal connaître notre camarade que de croire qu’il allait s’arrêter, et en septembre de la même année le premier numéro de la série londonienne du Père Peinard paraissait. Huit numéros parurent jusqu’en janvier 1895.

Mais l’exil n’était pas une solution, la bourgeoisie se sentait un peu rassurée, Pouget revint en France pour purger sa contumace et fut acquitté comme l’avaient du reste été tous ses co-accusés du « Procès des Trente ».

Toutes ces péripéties n’avaient en rien altéré l’ardeur du militant ; cela ne traîna pas ; le 11 mai de la même année paressait La Sociale qui succédait au Père Peinard, dont son fondateur dateur, pour de multiples raisons, n’avait pu reprendre, momentanément le titre (qui ne fut repris qu’en octobre 1896).

De ces deux nouveaux nés de Pouget, que dire sinon qu’ils furent égaux, par l’intensité de la propagande, à leur aîné ? Même courage — plus de courage même, car les « Lois scélérates » aggravaient les difficultés — et même vaillance. C’est de cette époque que datent les fameux Almanachs du Père Peinard, de nombreuses brochures de propagande dont l’une, entre autres, signée Pouget, Les variations Guesdistes, fit quelque bruit dans le landerneau du socialisme politicien.

Peut-être est-ce le moment de rappeler que l’artiste chez Pouget n’était pas inférieur au propagandiste et à l’écrivain. Chaque semaine une page du Père Peinard était réservée à l’illustration, et ses dessins si véhéments étaient souvent signés d’artistes tels Maximilien Luce qui se sont fait depuis une place de premier plan parmi les meilleurs peintres de ces cinquante dernières années.

Camille Pissarro

Les dessins des Almanachs du Père Peinard sont signés Camille Pissaro et des fils de ce grand artiste et Paul Signac apporta parfois sa collaboration à l’œuvre de Pouget.

Une belle exposition des œuvres du plus grand des sculpteurs du labeur prolétarien : Constantin Meunier, ayant lieu à Paris, ne pouvait laisser Pouget indifférent.

Son ami de toujours, Maximilien Luce, fit de superbes croquis de l’œuvre de Constantin Meunier et de la collaboration de ces deux grands artistes qui eurent mieux que tous autres, le sens de la beauté du labeur ouvrier, sortit le bel album : Les Gueules Noires, qu’édita Emile Pouget.

Vint l’affaire Dreyfus. Pouget là encore ne pouvait pas rester indifférent. Il se jeta dans la bataille, mais ce fut pour réclamer la justice aussi pour les anarchistes envoyés au bagne et qui se mouraient aux Iles du Salut, qui leur étaient à cette époque spécialement affectées.

Par de multiples articles, par sa brochure, Les lois scélérates, écrite en collaboration avec Francis de Pressensé, il réussit à attirer l’attention des masses, et les gouvernants de l’époque durent mettre en liberté quelques-uns de ceux qui restaient d’une prétendue révolte habilement machinée antérieurement par l’administration du bagne.

La Voix du peuple

Nous sommes arrivés à l’année 1898. La Confédération Générale du Travail prend un développement de plus en plus grand, une importance sociale toujours plus forte.

Le Congrès de Toulouse (1897), sous l’impulsion de Pouget, avait adopté un important rapport sur Le Boycottage et le Sabotage, qui apportait à la classe ouvrière une nouvelle forme de lutte.

Enfin, et c’était là son idée la plus chère, il avait envisagé de doter la classe ouvrière d’un organe de combat exclusivement rédigé par les intéressés. Déjà un premier vœu dans ce sens avait été adopté au Congrès de Toulouse, puis repris au Congrès de Rennes. Il s’agissait alors dans l’esprit des camarades d’un journal quotidien, projet auquel l’on dut renoncer par la suite, en présence de difficultés financières de tout ordre.

N’importe, l’idée était lancée et il est bon de le rappeler ici, c’est aussi grâce à la ténacité de Pouget que le premier numéro de la Voix du Peuple paraissait le 1er décembre 1900.

« Ah ! jean-foutre ! tu as tiré sur le Peuple ! »

Pouget, nommé secrétaire adjoint de la CGT, section des Fédérations, était chargé d’assurer la parution hebdomadaire du journal. Grâce à son effort persévérant et aidé par Fernand Pelloutier, la classe ouvrière pour la première fois était dotée d’un organe bien à elle.

Sur les difficultés du début, difficultés de tous ordres, morales surtout, car on ne voyait pas d’un bon œil dans certains milieux le nouvel organe, je ne m’étendrai pas. Il me faudrait refaire en quelque sorte l’historique des débuts du syndicalisme de ce que des camarades ont surnommé les temps héroïques de la CGT et dont d’autres ont pensé et pensent encore qu’ils ont été l’un des moments les plus beaux de l’histoire du mouvement ouvrier français.

Il me serait facile, la collection de La Voix du Peuple aidant, de reprendre une à une les campagnes de tous ordres, lutte contre les bureaux de placements, repos hebdomadaire, journée de huit heures, lutte contre les iniquités les plus diverses auxquelles le nom d’Émile Pouget est constamment mêlé et toujours au premier plan de la bataille.

C’est toute la classe ouvrière qui luttait par sa plume.

Il me faut cependant rappeler ces beaux et inoubliables numéros spéciaux sur « Le tirage au sort », sur « Le 1er Mai », conçus et mis en valeur d’une telle façon qu’il n’est pas exagéré de dire que jamais une telle intensité de propagande n’a été dépassée.

Rappellerai-je aussi la campagne pour la journée de huit heures, ayant son aboutissement au 1er mai 1906 ? Il faut avoir vécu cette époque au côté de Pouget pour savoir quelle science — le mot ne me parait pas trop fort — de la propagande il déploya alors. Secondé par son alter ego Victor Griffuelhes, pendant près de deux années, ils surent trouver chaque fois du nouveau pour tenir en haleine la masse des travailleurs qui parfois a trop tendance à douter d’elle-même. Il n’est donc pas exagéré de dire que si là où elle sait l’imposer intégralement, la classe ouvrière jouit de la journée de huit heures, elle le doit pour une part assez appréciable à Émile Pouget.

Il suffit de reprendre la collection des Congrès de la CGT entre 1896 et 1907 pour bien juger de l’influence profonde qu’il exerça sur ces assises du travail. Ses rapports, ses interventions et surtout son travail effectif au sein des commissions sont encore les plus sûrs garants de ce que lui doit le syndicalisme. Rappellerai-je qu’à Amiens c’est lui qui tint la plume et que la motion, qui aujourd’hui encore reste la charte du véritable syndicalisme, est en partie son œuvre ?

Il faut rappeler aussi, en dehors des nombreuses brochures qu’il signa, et dont on trouvera plus loin une liste que je crains incomplète, sa collaboration à nombre de petits journaux ouvriers et aussi ses grands articles parus dans le Mouvement socialiste d’Hubert Lagardelle, études si substantielles qu’il sera impossible de les ignorer lorsque l’on voudra à l’avenir étudier plus que superficiellement les origines et les méthodes du Mouvement syndicaliste en France.

La révolution - Villeneuve-Saint-Georges - La retraite

Journaliste né, je l’ai déjà dit, Pouget eut toute sa vie comme la hantise d’un journal quotidien, mais d’un journal prolétarien reflétant exclusivement les aspirations de la classe ouvrière.

C’est alors ce qu’il tenta en fondant avec d’autres camarades, La Révolution. Griffuelhes en était, Monatte aussi. Malheureusement, il faut pour cela beaucoup d’argent pour faire vivre un journal quotidien et l’aide escomptée n’étant pas venue, La Révolution dut, au bout de quelques mois, cesser de paraître. Ce fut bien là l’un des plus grands crève-cœur de sa vie de voir sombrer l’œuvre qu’il avait si ardemment désirée.

Grève Draveil 1908

Je pourrais presque m’arrêter ici mais il me faut bien rappeler l’affaire de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges. Il semble bien en effet, avec le recul des années, que cette misérable et triste journée ait été voulue par Clemenceau. C’était du reste l’opinion de Griffuelhes autant que celle de Pouget. Des poursuites furent engagées contre un certain nombre de militants et naturellement Pouget était du nombre. Mais au bout de plus de deux mois passés à la prison de Corbeil, l’accusation dut être abandonnée et il n’est pas exagéré de dire que si le procès était venu, le banc d’infamie n’aurait sans doute pas été celui des accusés.

Mais déjà la santé de Pouget, qui était notre aîné d’une bonne dizaine d’années, commençait à laisser à désirer.

A la longue, la lutte telle qu’il la comprenait use quelque peu son homme. Le repos pour lui consista alors à se remettre au travail pour gagner sa vie et jusqu’au jour où la maladie le terrassa, il n’arrêta pas — bien qu’âgé de 71 ans — de travailler. Telle fut la vie, trop largement esquissée ici, de cet admirable lutteur, que la classe ouvrière, pour qui il a donné plus que le meilleur de lui-même, semble aujourd’hui avoir par trop oublié. Mais de cela Pouget n’avait cure. Il lui a suffi d’avoir toujours travaillé suivant ses idées pour trouver en elles toutes les satisfactions qu’il attendait de la vie. Car cet homme si simple, si cordial, si bon camarade, si courageux souvent, était un rude homme.

Camarades qui venez de me lire, vous pouvez m’en croire.


Emile Pouget : « La prise de la Bastille »  



[1Nombre de placards et affiches « Le Père Peinard au Populo » ont été tirés à plus de 20 000 exemplaires, et je pourrais en citer plus de trente.