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La vie d’Anselmo Lorenzo en Bande dessinée [10]

jeudi 13 avril 2023

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Comme nous l’avons dit, Laurent Portet maintient Lorenzo à son poste. On peut dire que l’Ecole Moderne survécut tant que Lorenzo eut assez de forces pour être constamment sur place. Mais Lorenzo, vieux et malade, mène une vie surhumaine. En plus de son travail au front de l’Ecole Moderne, il ne cesse d’agir pour ce qui a été le rêve de toute sa vie : la création d’une grande centrale syndicale nationale. L’idée est déjà mûre. Au Congrès de Barcelone, de 1910, la CNT nait. Lorenzo en est le moteur, l’âme et le cerveau. Tous les hommes qui animent l’organisation ont été ses élèves et se sont nourris de son enseignement.
Malgré la satisfaction morale que Lorenzo trouve dans l’accomplissement heureux du rêve de sa vie, ses dernières années sont tristes. Chaque jour la maladie devient plus douloureuse. Il étouffe. Il habite alors dans la rue Casanovas — où il mourra, comme sa compagne, d’ailleurs — dans un appartement du 4° étage, sans ascenseur. Descendre et monter cet escalier, devient pour Lorenzo un calvaire. A chaque palier, il est forcé de s’asseoir : sa famille même y installe des tabourets. Il sort le moins possible. Chaque jour de nombreux amis lui rendent visite, l’informent de toutes les nouvelles qui ont trait au Mouvement.

Tout cela ne suffit pas pour écarter des pensées du vieillard l’ombre de la mort. Il écrit dans une lettre à Fernando Tarrida, son ami de toujours : Je me sens chaque jour plus las ; je ne peux pas dormir ; je me lève la nuit et je me mets à lire ou à écrire, si la dyspnée me le permet. Des fois j’arrive au bord de l’asphyxie... Et les jours passent !. Cette lettre est datée du 26 décembre 1910. Durant la journée, les visites des amis lui tiennent compagnie et lui font oublier ses souffrances.
Le foyer est soutenu par ses filles, excellentes couturières. L’aînée, Marina, se marie, mais perd bientôt son époux ; deux enfants, Anselmo et Roberto, lui restent. Les deux cadettes, Mariana et Flora, restent célibataires, absorbées par le travail de chaque jour et par la volonté de se consacrer entièrement au soutien de leurs vieux parents. Les trois sœurs, très unies, élèvent les deux enfants et font vivre les deux vieillards, soignant le père de leur mieux.

La première guerre mondiale éclate. Le mouvement libertaire se divise profondément en deux tendances : celle de Kropotkine, partisan de l’aide à la cause des alliés ; celle de Malatesta, pacifiste et opposé à toute guerre, considérant que dans celle-là comme dans n’importe quelle autre, ce sont les intérêts capitalistes seuls qui sont en jeu. Lorenzo souffre beaucoup de cette scission, car il a des amis dans les deux groupes. Approuvant la position de Kropotkine, il y a Malato, Mella, Grave, Tarrida, Urales. Du côté de Malatesta, la partie la plus jeune du mouvement. Lorenzo reste en marge de l’âpre polémique, qui arrive à rompre une amitié aussi profonde que celle qui unissait Malatesta et Kropotkine.
Lorenzo se sent mourir. Le 2 septembre 1914, il écrit encore une fois à Tarrida, le faisant participer à son angoisse devant la mort. Il lui dit : Aidez-moi, mon cher frère, car j’ai beaucoup de choses à faire et je dispose de très peu de vie…. Il a entrepris, avec le vieux camarade Boix, survivant lui aussi du procès de Montjuich, et le jeune Nègre — qui fut un des premiers secrétaires de la CNT — la publication d’une revue ouvrière. Quand la dyspnée le lui permet, Lorenzo écrit, corrige des épreuves, s’occupe avec acharnement de la propagande d’orientation émancipatrice, comme il aime à le dire. Mais le 30 novembre 1914 — trois mois après la déclaration de la guerre — une attaque plus forte l’emporte. A son enterrement viendra tout le peuple de Barcelone.

Lénine dormira au milieu de la Place Rouge. L’humble tombe de Lorenzo se perd dans l’oubli. Il fut pourtant un créateur puissant. Son exemple, son enseignement, son travail d’organisateur et d’écrivain, créèrent et développèrent la Confédération Nationale du Travail, qui, le 19 juillet 1936, devait présenter au monde l’exemple d’une révolution sociale — la première — de tendance libertaire, et qui, par ses réalisations économiques, devait démontrer que l’émancipation des travailleurs pouvait et devait être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Les idées semées par Lorenzo pendant 50 ans de lutte et de sacrifice, avaient porté leur fruit.

 

Cette BD est issue de Espoir, le journal de la CNT-AIT de Toulouse de 1962. Elle a fait l’objet d’une réédition en brochure publiée en 2006 par perspective libertaire CNT-AIT, et une nouvelle édition enrichie est prévue prochainement.