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Cahier d’un milicien dans les rangs de la CNT-FAI [08]

jeudi 30 mars 2023, par Albert Minnig (CC by-nc-sa)

Le Réveil anarchiste N°988 – 18 Décembre 1937

Nous passerons encore quelques jours clans cette position sans qu’une alerte vienne troubler nos travaux. Une maison qui se trouve à environ 200 mètres derrière nous sert d’hôpital et nous allons y chercher le bois nécessaire pour nos fortifications. Nous démontons la toiture d’une dépendance, quand tout à coup des obus sifflent et explosent à quelques mètres de nous. Immédiatement, nous abandonnons tout sur place et courons jusqu’à la tranchée. Le tir devient très précis et rapide. Plusieurs obus crèvent la façade de toutes parts. Nous regardons très inquiets, car il y avait beaucoup de monde à l’intérieur et Chevalier, que nous ne voyons pas, doit être là-bas.

Après trois quarts d’heure le bombardement prend fin et Chevalier, qui s’était dissimulé dans un fossé tout proche de la maison, revient en rigolant, une poutre sur l’épaule. Il n’en est pas de même pour ceux qui sont restés dans la maison. Un docteur a été tué en portant secours à un blessé. L’ambulance suisse, qui a été appelée, évacue les blessés et les morts ; mais les fascistes ont vu leurs allées et venues et recommencent à tirer, faisant de nouvelles victimes. Heureusement l’évacuation est faite rapidement, mais il y a plusieurs morts et une douzaine de blessés. Un mulet a été tué dans l’écurie et Sellés, un camarade de Trieste, nous apporte un bon plat de biftecks.

Nous recevons une demande de changer de position, notre secteur allant du cimetière au castillo Malatesta et à la Casa Blanca. Je propose de retourner à la Casa Blanca, secteur que Chevalier et moi connaissons bien. Tous sont d’accord, car nous prévoyons que là-bas nous aurons plus facilement de la bagarre. Des troupes viennent nous relever et, après deux heures d’une marche très pénible nous arrivons au secteur dit « de la Mort ». Nous étudions la position et décidons de tout transformer, afin d’en tirer le plus d’efficacité possible. Un tunnel d’une quinzaine de mètres est creusé, soixante traverses sont arrachées à la voie de chemin de fer, sciées et portées à proximité. Une autre équipe a rempli plus de trois cents sacs de terre et nous comptons qu’une seule nuit permettra de faire cet immense travail. Plusieurs camarades des sections avoisinantes viennent nous apporter leur aide. Nous travaillerons toute la nuit avec une ardeur incomparable. A tour de rôle, chacun apporte traverses et sacs, faisant le moins de bruit possible, car nous sommes à peine à cent mètres des parapets fascistes. Il est à peine 4 heures que le parapet est construit et recouvert de plus de deux mètres de terre et bien camouflé d’herbe et de petits buissons.

Nous attendons avec impatience le jour pour juger si notre travail est bien fait. Enfin nous pouvons constater que notre effort n’a pas été nul et nous sommes tous émerveillés. Trois grandes meurtrières que nous pouvons raccourcir ou fermer à volonté nous laissent un champ de visibilité de plusieurs kilomètres. A droite, notre tir peut battre tous les angles morts des autres mitrailleuses, en avant Saint-Georges, la route de Huesca-Huerrios et la voie ferrée, à gauche, la pointe de la lama (espace en plaine et sans pierres) de Huesca-Jaca et tout le système de tranchées fascistes. Nous brûlons d’envie de tirer sur les rebelles qui se promènent avec confiance dans les endroits où le tir précédent n’arrivait pas, mais nous avons encore beaucoup à faire pour pouvoir placer la mitrailleuse. Deux jours ont suffi pour terminer ces petits travaux et notre tir fait beaucoup de victimes.

Les canons répondent à notre tir en se vengeant sur les dernières ruines de la Casa Blanca. Nous rions d’entendre les obus passer sur nos têtes avec des hurlements terribles, alors qu’un raccourcissement d’à peine cent mètres risquerait de tous nous fracasser. Plusieurs Suisses nouvellement arrivés viennent grossir notre groupe, ainsi que plusieurs camarades de toutes nationalités, ce qui nous oblige à agrandir nos fortifications. Des postes d’observation et de garde sont construits, ainsi que tout un nouveau réseau de tranchées. Les groupes qui sont dans notre secteur viennent souvent voir nos travaux et travaillent dur à modifier les leurs. Après trois semaines le secteur est méconnaissable et ressemble à une véritable forteresse. Des officiers russes, qui ont caché leurs galons dans leurs poches viennent visiter nos positions. L’étonnement se lit sur leurs visages et ils ne partent qu’après nous avoir félicités. Nous sommes satisfaits, car c’est une bonne réplique à la militarisation qui depuis six mois instruit des sapeurs et officiers dans les casernes de Barcelone, Valence et Albacete.

Malgré tous ces actes de bonne volonté, nous sentons autour de nous un vaste mouvement de boycott. Il est impossible d’obtenir des munitions et les vivres viennent avec beaucoup d’irrégularité. Une grande assemblée des délégués d’Almudevar et Huesca est décidée. Nous nous réunissons dans un bois et plusieurs projets sont discutés très vivement. Une commission est nommée pour enquêter et trouver les preuves du boycott possible. Une attaque générale doit être déclenchée si nous obtenons le matériel nécessaire, car nous en avons tous assez de rester dans une inactivité de douaniers. Les camarades espagnols qui ont été militarisés se plaignent de n’avoir pas obtenu une seule promesse et aucun n’a encore vu la couleur du matériel russe. Les résultats de l’enquête ne se font pas attendre. A Barbastro plus de 60 mitrailleuses restent inactives, à Sarignena une quarantaine, dans la contrée plus de cent. Des magasins sont pleins de cartouches et d’obus. A Barcelone, des tanks servent pour les défilés militaires et l’instruction à la caserne Karl Marx. Un essai d’entente avec Valence reste sans réponse et les articles des journaux nous dénoncent comme insoumis, agents provocateurs de désordres.

Solidaridad Obrera proteste, mais pas assez énergiquement. La majeure partie de nos colonnes est pour une unité prolétarienne dont les politiciens se moquent pas mal. De grandes affiches demandant l’appui du gouvernement sont répandues dans tous les centres, mais n’arrivent pas à ébranler l’attitude prise par ces messieurs qui avaient imploré les syndicats pour leur venir en aide. Les jours passent lentement et la devise « Ne comptons que sur nous-mêmes ! » est devenue générale. Des assemblées de bataillon ont lieu, sans pouvoir résoudre cette triste situation. L’enthousiasme disparait peu à peu, faisant place souvent à des différends personnels bien compréhensibles dans un tel état de nervosité.

Emilio Canzi

Bifolchi a passé à l’état-major du régiment et il ne parait plus se soucier de la vie du bataillon. Thiéry, qui l’a remplacé, se multiplie en efforts, mais ne peut donner satisfaction à tous et il se débat comme un lion clans une situation plus qu’impossible. Peu de temps après, il est appelé à Granen, et Canzi le remplace aussi bien que possible. Cafiero est nommé pour la Casa Blanca et nous avons beaucoup de confiance, car c’est un camarade très énergique qui ne recule devant aucun danger pour dénoncer les saletés des grosses huiles de l’état-major. Malheureusement ses efforts se brisent contre le cercle qui nous serre chaque jour davantage. (A suivre.)

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Voir en ligne : Pour le bien de la révolution, Minning Albert et Gmür Edi. Les éditions Atelier de création libertaire


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