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Cahier d’un milicien dans les rangs de la CNT-FAI [07]

mercredi 29 mars 2023, par Albert Minnig (CC by-nc-sa)

Le Réveil anarchiste N°986 – 20 Novembre 1937

Le 25 novembre, nous décidons de remonter au front ; mais à la gare, les employés exigent une documentation nous autorisant à regagner le front individuellement. Noue renvoyons donc notre départ de quelques jours, et toutes les démarches pour obtenir une feuille de route sont faites immédiatement. Dans divers bureaux où nous sommes obligés d’aller, des propositions de quitter la Colunna de Los Aguiluchos nous sons faites ; mais nous refusons catégoriquement, devinant une manœuvre de parti. Enfin, à la Généralité, nous réussissons à entrer dans le bureau de Santillan qui, après une courte explication, nous fait les laisser-passer.

Le lendemain, noue faisons nos adieux à toutes nos connaissances et nous reprenons le chemin de la gare. Une dernière bouteille est bue avec Chevalier qui nous a accompagnés et qui brûle d’envie de se joindre à nous. La blessure est encore loin d’être guérie et le retiendra encore de longues semaines à l’hôpital. Nous nous séparons en faisant de beaux projets, et le train nous emmène à toute vitesse jusqu’à Lérida.

Nous décidons de passer un jour dans cette ville qui nous paraît bien jolie. Pendant plusieurs heures, nous furetons d’un quartier à l’autre, achetant ce qu’il nous faut pour retourner à la tranchée. Nous allons au Comité CNT-FAI pour nous informer où nous pourrons passer la nuit. On nous indique un très grand hôtel, en nous priant d’y manger. Tout y est gratuit pour les miliciens et nous goûtons avec plaisir à ce luxe qui entourait les riches passants d’avant la révolution.

Le lendemain, à 9 heures, nous reprenons le train jusqu’à Granen, où nous aurons la chance de trouver un camion qui nous transportera jusqu’à Vicien. Nous passons la nuit dans ce petit village, où grouille toute une population de paysans et miliciens qui n’ont guère l’air de se soucier des bombardements journaliers des Capronis et des Fockers. Beaucoup de bâtiments ont été démolis par les bombes, mais nombre d’ouvriers travaillent activement à l’achèvement de nouvelles constructions.

Espagne : ambulance offerte par le mouvement ouvrier genevois (1936)

Le lendemain, nous trouvons à nouveau un camion qui nous portera jusqu’au Castillo San Luis, où est installée l’ambulance suisse depuis quelques semaines. Tout a été nettoyé aux alentours et un groupe de camarades italiens et français, qui ne sont pas en très bonne santé, en assument la garde. Nous pénétrons dans les corridors où des pancartes nous invitent à faire le moins de bruit possible. Chaque porte a son écriteau : cuisine, chambres de malades, salle d’opérations, laboratoire et salle d’attente. Nous entrons dans cette dernière, où nous trouvons la camarade Marguerite, de Renens, qui nous souhaite bon accueil et s’enquiert du but de notre visite. Je me présente ainsi que mes camarades et chacun est heureux de faire connaissance. Nous acceptons sans nous faire prier l’invitation de dîner, car nous n’avons rien mangé depuis Granen. Après une minutieuse visite de la voiture ambulance (don des syndicats ouvriers de la Suisse) qui est une merveille, nous prenons place à table au milieu des docteurs, infirmiers et malades. La cuisine est appétissante et abondante, aussi en profitons-nous, car des privations de toutes sortes nous attendent. Nous passerons encore quelques heures à parler des derniers événements, puis nous repartons, en promettant une prochaine visite. Au bout de quelques heures de marche, nous arrivons au cimetière de Huesca, lieu de rendez-vous que nous avions donné à plusieurs camarades de notre compagnie.

Au Comité où nous nous adressons, on nous apprend qu’il manque du monde au cimetière et que notre compagnie a été dissoute, manque de mitrailleuses. Nous décidons donc de rester en attendant de nouvelles mitrailleuses. Nous sommes reçus avec enthousiasme par un groupe, formé essentiellement de paysans de l’Aragon, qui font partie de la colonne Francisco Ascaso. Après quelques jours de contact avec ces rudes travailleurs qui nous inspirent beaucoup de confiance, nous n’hésitons plus à parler leur langue maternelle dont nous avons appris quelques fragments. Ils ne nous cachent point leur joie et nous encouragent à parler tout en nous conseillant. Dans tout le secteur règne un calme absolu, mais, de temps à autre des duels d’artillerie et mitrailleuses viennent nous rappeler que nous sommes au front, en décimant peu à peu nos rangs. Plusieurs obus tombent dans le cimetière, détruisant les tombeaux, éventrant les cercueils, semant les ossements des pauvres défunts que nous sommes obligés d’enterrer pour éviter le plus possible les épidémies. De grandes lettres, d’un brun noirâtre, ont été dessinées contre les murs blancs de l’enceinte : Nada de héridos ! Nada de prisonieros ! (Pas de blessés ! Pas de prisonniers !). J’en demande l’explication à ceux qui ont participé a la prise du cimetière. Ces mots, me répond-on, ont été tracés par les fascistes avec le sang des 700 cadavres que nous avons trouvés devant ce mur tout criblé des balles meurtrières. Je comprends alors trop bien que c’était la boucherie fasciste, comprenant femmes et enfants, avec cette cruauté qui caractérise très bien le régime contre lequel nous luttons avec fermeté et espoir. Nous passerons ainsi le dernier mois de l’année sans qu’aucun mouvement sérieux nous apporte de changement de position et nous avons mal aux yeux de toujours regarder Huesca qui est à peine à un kilomètre. Chaque jour de nouvelles restrictions viennent s’ajouter aux mauvaises conditions de notre vie d’hommes des cavernes, mais nous les supportons sans trop nous plaindre en nous disant : C’est pour le bien de la révolution.

Solidaridad Obrera, organe de la CNT- FAI, nous renseigne journellement sur les événements des divers fronts, mais ne parle peut-être pas assez de révolution, tout en s’occupant trop de l’opinion des gouvernements étrangers. Les journaux des divers partis politiques républicains ne parlent que des conditions posées par la Russie et les États démocratiques pour nous fournir les armes, les munitions et les vivres nécessaires à mettre fin à la rebellion fasciste. Ils annoncent à grands cris que la militarisation peut être acceptée temporairement, en l’adaptant d’ailleurs à nos idées et principes. Par cette concession, nous aurons en revanche, disent-ils, de l’aviation, des tanks, de l’artillerie, des mitrailleuses ultra modernes tirant deux mille coups à la minute, et surtout beaucoup de munitions et de vivres. Tous les délégués sont invités à accepter la militarisation et toute une clique d’espions à Staline travaille, sans honte et sans relâche, à inculquer aux miliciens que nous ne gagnerons pas la guerre si nous restons comme un troupeau sans berger. Par leurs exigences, les pays étrangers veulent nous assurer une prompte victoire !

En même temps, des renseignements de source soi-disant sûre nous arrivent de Barcelone. Plusieurs navires étrangers, russes en particulier, venus pour ravitailler la Catalogne, sont repartis sans décharger, les officiers disant avoir reçu des contre-ordres. La propagande pour la militarisation s’intensifie chaque jour et tous les moyens lui sont bons. Dans les villages de l’arrière-garde, des officiers couverts de galons et d’étoiles se promènent, réveillant chez plusieurs miliciens des instincts d’ambition à peine endormis. Des ordres de la Généralité et du gouvernement de Valence arrivent de plus en plus pressants. Nous essayons de résister, mais nous ne savons pas assez la langue pour bien nous faire comprendre et nous préférons, pour ne pas être militarisés de force, demander à rejoindre le bataillon italien qui veut garder à tout prix son autonomie. L’autorisation de passer dans le dit bataillon nous est accordée et nous quittons avec regret les camarades espagnols qui, eux, sont obligés de subir une militarisation imbécile qui ne leur apportera du reste aucun des bienfaits tant vantés et promis.

Giusepe Bifolchi

Nous retrouvons dans le bataillon italien beaucoup de camarades anarchistes au passé plein de luttes, et nous nous rangeons à leurs côtés pleins de confiance. Nous occupons le Castillo Ferrer qui est à quelques kilomètres du front et nous faisons, sous les conseils de Bifolchi, remplaçant le camarade Carlo Rosselli, des simulacres d’attaque et de défense. Chaque jour arrivent de nouveaux éléments qui n’ont point voulu subir la militarisation. Nous souffrons de l’inaction, mais on nous dit de patienter, car le front s’organise militairement et un secteur nous sera réservé. Enfin, au mois de février, des volontaires mitrailleurs sont demandés pour le front et après nous être organisés en groupes, nous partons laissant nos tanks aux nouveaux arrivants.

Notre groupe prend possession d’une mitrailleuse à l’extrême droite du cimetière de Huesca. Il nous semble que notre nouvelle organisation veut très bien aller, car nous avons plus régulièrement à manger, Mais il est ’toutefois impossible d’avoir de nouvelles munitions.

Chevalier a tenu sa promesse et il nous a rejoints il y a peu de jours, apportant sa bonne humeur. Il y a à peine huit jours que nous sommes là qu’Ernest Prades, un petit Marseillais de 15 ans, est réclamé par l’ambassade de son pays. Sa mère, qui est venue jusqu’au Castillo San Juan, le réclame avec force. Il refuse tout d’abord l’invitation de partir, ainsi qu’un certificat du gouvernement, qui le remercie pour son dévouement et son courage. Puis se rendant compte de l’angoisse dans laquelle sa mère est plongée, il se décide, nous embrasse tous et part avec de grosses larmes de regret sur les joues. Consternés nous le regardons s’éloigner sur la grande route, mais nous nous consolons en pensant qu’il va vers la vie, et nous parlons longuement sur sa bonne tenue à nos côtés, dans les moments les plus tragiques passés pendant ces cinq mois et demi de front. (A suivre.)

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Voir en ligne : Pour le bien de la révolution, Minning Albert et Gmür Edi. Les éditions Atelier de création libertaire


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